Au fond des choses - Parce que c'est moi qui le dis!

Au fond des choses - Souvent les mots n’ont pas la même signification pour tout le monde, et certainement pas quand ces mots réfèrent à des idées et des visions sous-jacentes. En tant qu’ennemis de toute autorité, il ne nous n’intéresse pas de donner une signification univoque à chaque mot, construisant ainsi un catéchisme normatif. Néanmoins, nous nous servons souvent de certains concepts pour exprimer nos idées. Dans cette rubrique nous clarifierons chaque numéro quelques concepts ; ou plutôt, nous les éluciderons à l’aide de nos idées, ces idées que nous nommons anarchistes.

Parce que c’est moi qui le dis!

Qu’est-ce que l’autorité ? C’est un peu difficile de répondre en quelques mots, tout simplement parce qu’il y aurait beaucoup à en dire. Ce texte n’est donc rien de plus qu’une ébauche pour tenter d’y réfléchir, parce que pour nous, anarchistes qui combattons ce monde rempli d’oppressions, l’autorité est justement un de ces ingrédients nécessaires à l’oppression. Mais laisse-moi commencer par expliquer ce que j’entends par autorité, et après on verra.

Tout d’abord, l’autorité n’est pas quelque chose qui existe en soi. Elle ne peut exister que dans un rapport, un rapport hiérarchique dans lequel l’un se trouve au-dessus de l’autre. Lorsque quelqu’un détermine les pensées, les actes et/ou les sentiments des autres. Des pensées sur comment on devrait être, et sur ce qu’on doit penser pour être approuvé ; des directives sur les actes qui sont permis ou pas ; la manipulation de sentiments comme la peur. La société dans laquelle on vit est construite sur ces rapports hiérarchiques. Il s’agit de rapports où chacun remplit un certain rôle social, comme par exemple celui de professeur et d’élève. L’autorité est alors le pouvoir que quelqu’un obtient à travers son rôle social. C’est parce que le contrôleur a le rôle de contrôleur et en porte l’uniforme, qu’on doit lui obéir.
Le conflit qui peut surgir lors d’un contrôle ne prend pas le trait d’un simple litige entre deux individus, mais porte la marque d’un conflit entre quelqu’un porteur d’un certain rôle social qui exerce son autorité, avec un autre qui subit cette autorité. Ce qui ne revient pas non plus à dire que le contrôleur n’est pas responsable de ce qu’il fait. Lorsqu’il exerce sa fonction de contrôleur et se charge du rôle social de contrôleur, il ne peut pas simplement dire : « Je ne fais que mon boulot ». Il n’effectue pas simplement un contrôle, il est le contrôleur. Il n’exerce pas simplement une fonction, il est la fonction. Un flic ne peut pas dire qu’il exerce simplement son métier quand il nous arrête. Il ne peut pas user et abuser de l’autorité qui est liée à sa fonction pour ensuite nous dire qu’il n’a rien à voir là-dedans.

L’autorité existe d’un côté sans trop de remous, parce qu’on est préparé depuis tout petit à accepter que quelqu’un soit au-dessus de nous, parce que tout le système dans lequel nous vivons est basé sur la hiérarchie et l’autorité. D’un autre côté, elle s’affirme aussi avec toutes sortes de moyens lorsque quelqu’un ose désobéir : le chantage, la violence physique, la guerre psychologique, la punition, la pression émotionnelle,… On ne peut donc pas simplement dire qu’il suffirait d’être « désobéissant » et qu’alors tout serait résolu, que le pouvoir disparaîtra et que nous serons tous libres. Si nous voulons une autre vie, si nous voulons être libres, il faut se battre.

Si on pense à l’autorité, on pense peut-être en premier lieu à l’Etat qui fait les lois, à la police qui est à leur service, aux matons qui nous enferment lorsqu’on est condamné par un juge. À l’huissier qui nous traque et pénètre dans notre maison. Au professeur qui nous oblige à nous taire et à ne pas bouger. A l’ONEM qui nous met sur la sellette. Au gardien de stationnement qui distribue avidement des amendes, etc. Il existe toute une série de métiers qui visent à obliger les gens à s’adapter et à accepter le système. Mais l’autorité et les rôles sociaux ne sont pas uniquement liés aux métiers. Ils se manifestent aussi plus près de chez soi. Par exemple en famille, où il y a le rôle de père, mère, grand frère, grande sœur, petit frère, petite sœur, où ce rôle détermine comment il faut se comporter, qui on doit écouter, etc. Mais aussi par exemple dans une relation amoureuse ou amicale, lorsqu’une pression est exercée et des ordres sont donnés au nom de l’amour. Si nous laissons contaminer nos relations avec ceux qu’on aime par les mécanismes pourris de ce monde d’autorité, est-ce que cela ne signifie pas qu’il est grand temps pour tout changer ? Si l’autorité paternelle se maintient en frappant systématiquement les enfants, si des « amitiés » reposent sur l’humiliation, si on enferme son partenaire, qu’est-ce que nous sommes donc en train de foutre ?
Il est donc grand temps pour quelque chose d’autre, quelque chose qu’on ne connaît pas encore parce que ça dépasse tout ce qui fait tourner ce monde, quelque chose que nous pouvons quand-même entrevoir en un éclair, comme par exemple quand des élèves conspirent pour faire grève ou quand des prisonniers attaquent leurs gardiens.

Beaucoup disent que les gens suivront toujours un chef, qu’il leur faut un chef, ou que nous ne pourrions pas vivre ensemble sans hiérarchie. Que tout le monde s’éclaterait la tête s’il n’y avait pas de loi et d’ordre. Mais n’est-ce pas déjà le cas aujourd’hui autour de nous, où on s’écrase les uns les autres ? N’est-ce pas aujourd’hui que des guerres sont en cours et que des masses de gens sont enfermés et annihilés ? L’idée que nous avons tous besoin d’autorité est une pensée qui vient du pouvoir lui-même. Il n’y a que les puissants qui tirent profit d’une telle pensée. L’autorité et la servilité ne sont pas liées à la nature humaine, comme beaucoup le croient. Il n’existe pas de chefs-nés ni de disciples naturels. L’autorité et la servilité sont des comportements stimulés quotidiennement. L’autorité n’est pas un trait de caractère, c’est une ligne de pensée, une croyance dans la supériorité de l'un sur l'autre, la croyance qu’il est normal et justifié de commander d’autres individus. Tous les exemples de gens qui s’insurgent, ou de gens qui refusent l’autorité qui leur est imposée, montrent que l’autorité et l’obéissance ne sont pas des choses figées pour toujours.

Les anarchistes détestent cette manière de vivre ensemble basée sur la hiérarchie et l’autorité, sur l’exercice de rôles. Cette manière de vivre ensemble étouffe le développement de l’individu, le libre développement qui stimule la sincérité, qui rend superflu les mensonges, le chantage et les sales petits jeux. Le libre développement qui est la garantie indispensable pour avoir des rapports dans lesquels on peut être soi-même, et laisser les autres être eux-mêmes. Des rapports dans lesquels ne surgit aucun besoin d'humilier, d’opprimer, d’exploiter l’autre. Où les conflits inévitables se déroulent entre individus, et pas entre rôles. Luttons pour un monde sans rôles sociaux, sans la coercition ni l’autorité qui vont avec, pour un monde qui sera le nôtre.