Le quartier de haute sécurité à Bruges est contesté depuis sa mise en service

L’histoire des luttes est notre histoire !

C’est en juin 2008 (il y a donc trois années d’ici) que le quartier de haute sécurité est mis en service dans la prison de Bruges. C’est une réponse claire aux multiples rébellions, évasions et émeutes qui avaient mis de nombreux cœurs en feu et en flammes aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la prison. Huit cellules individuelles ne contenant que le minimum, deux cachots, deux cellules transformées en parloir (une derrière des carreaux et une à table). Son but est de briser les détenus récalcitrants qui y sont enfermés pour quelques mois ou jusqu'à l'année entière, voire plus. Briser l’esprit rebelle, faire observer le droit chemin, la bonne conduite. Éviter de possibles contagions de la rébellion en écartant les soi-disant meneurs. C’est à travers le parcours de trois personnes qui y seront incarcérées, en différents moments, que nous voulons rappeler les luttes qui ont ébranlé ce lieu infâme depuis le début. Trois personnes qui sont considérées comme les plus dangereuses du pays, trois personnes qui sont marquées par leur esprit clair, fort et insoumis, par leur refus de se plier devant l’autorité.


Une oubliette pour les détenus récalcitrants

Ashraf Sekkaki sera un des premiers à y être enfermé. Ses compagnons de section: un détenu qui est considéré comme meneur de l’émeute qui a détruit une aile entière de la prison de Merksplas, et un sans-papiers qui a attaqué la directrice de la prison d’Anvers. Ashraf est considéré comme le meneur de plusieurs émeutes qui faisaient ravage dans différentes prisons. Une d’elles aura lieu suite à une altercation entre une famille et les matons lors d’une visite à Hasselt. Le préau sera bloqué à deux reprises, le mobilier de la prison volera en éclats, les matons recevront l’addition pour les humiliations incessantes qu’ils infligent aux prisonniers.
Très vite, Ashraf fait sortir des lettres témoignant des conditions de détention infâmes, l’isolement ferme, les médicaments distribués à tout va. Il compare le QHS au camp d’emprisonnement de Guantanamo. Pas de contact avec l’extérieur, pas de courrier – donc interdiction de faire les cours qu’il suivait -, pas de visites sauf celle, strictement réglementée et surveillée, de son avocat. Il doit subir deux fouilles corporelles approfondies chaque jour, ainsi qu’une fouille de la cellule, un isolement complet de 23 heures sur 24 avec une «promenade» autorisée dans une cage grillagée, menottes aux poignets et aux chevilles. Le chauffage n’est pas allumé avant la fin du mois d’octobre. «Je me sens comme dans un laboratoire où l’on voudrait tester jusqu’où l’on peut aller», écrit-il. “Je suis un humain, pas un robot, donc je me rebelle. Quand je me comporte bien, on dit que c’est grâce au régime d’isolement. Quand je me comporte mal, on dit : il faut l’isoler encore plus. Quand Hans Meurisse [Directeur Général des prisons qui décide du placement en QHS] lira ceci, je n’ai qu’un message pour lui: rien ne dure pour toujours. L’emprisonnement est comme une folie imposée. Pour moi, la liberté ne sera jamais assurée ni ordinaire. Peut être que, bientôt, je n’oserai même plus lui tendre la main, je continue à la regarder comme la richesse d’un autre. Ce que l’on oublie, c’est que l’endurance d’un humain n’est pas inépuisable. Ils pourraient bien à un moment se retrouver dans une situation pénible. Car, une balle que l’on essaie de garder sous l’eau, ressurgit avec pleine force”. L’État se sent attaqué et va tenter de décredibiliser les dénonciations de ce régime. Le ministre de la justice se fait fort d’affirmer que le régime n’est que temporel, limité dans un temps déterminé qui ne dépasse pas quelques mois. Trois ans après, on verra que c’était une bonne blague. Certains détenus y sont enfermés sans aucune perspective d’y ressortir. Ashraf est taxé de menteur, le journaliste qui a publié les lettres sera rappelé à l’ordre. Peu après la publication de ces lettres, l’État invite les journalistes à découvrir le splendide quartier d'isolement pour montrer qu’il n’a rien à se reprocher. Lors de la venue des journalistes, les détenus feront un tel bordel que l’on entendra à peine parler le directeur qui essaie de garder la façade à tout prix. Ashraf ne rate pas un moment. Sa protestation véhémente met en branle la tentative de justifier une telle torture, le directeur ne trouve plus ses mots.


Le quartier d’isolement ravagé par une émeute dévastatrice


Farid Bemouhammad le rejoint un mois plus tard, en août 2008. Farid est transféré de prison en prison 6 fois par an, et ce depuis 10 ans déjà. Il sera toujours enfermé en régime strict, et il passera bien longtemps dans le bloc U à la prison de Lantin. Quartier d’isolement où l’État voulait instaurer un deuxième QHS. Ça se passera autrement car le bloc U devenu le nouveau QHS se fera détruire, une fois avant et une fois après la mise en service du QHS. Le quartier finira par ne plus être reconstruit. C’est à Lantin que les matons entrent dans la cellule de Farid et le menacent de lui injecter le calmant Haldol – qui a tué de nombreuses fois déjà. Peu après, il est transféré à Bruges. Menottés les pieds et les mains pendant chaque déplacement -même pour la douche -, fouilles corporelles quotidiennes.
En avril 2009, alors que Ashraf et Farid se trouvent toujours dans le QHS, une révolte rendra ce régime inutilisable pendant plusieurs mois. Cinq des six prisonniers participent à la révolte. Ils font inonder les cellules d’eau et détruisent tout le mobilier qu’ils peuvent. Le lendemain, une émeute éclate dans une autre aile de la prison de Bruges. Dehors, de nombreux tracts sont distribués et des affiches collées pour saluer cet acte de rébellion. La destruction de ce régime parle à bien des révoltés dehors qui luttent depuis des années contre la prison. «solidarité avec bruges 6 avril - Pour célébrer la destruction du quartier de haute sécurité à la prison de Bruges, le hall d’entrée du commissariat de police près de la Gare du Nord à Bruxelles a été incendié. Solidarité !» peut-on lire sur internet. Fin avril 2009, la faculté de criminologie de l’université de Gand est occupée en solidarité avec les mutineries dans les prisons et les centres fermés, et plus spécifiquement avec la destruction de la section de haute sécurité de la prison de Bruges. “Nous avons choisi d’occuper la faculté de criminologie parce que cette science est étroitement liée à la prison, à la justice et à la police. En effet, ceux qui condamnent jour après jour des dizaines de personnes à plusieurs années de prison ou à se faire déporter ont souvent commencé leur ignoble carrière dans cette faculté.
Les prisonniers se retrouvent donc de fait en détention normale. Ashraf s’évadera durant l’été 2009 en hélicoptère de la prison de Bruges, sera incarcéré au Maroc quelques semaines après, s’évadera de nouveau en novembre 2010 de la prison à Oujda. Il ne trouvera la liberté que pour un jour et sera enfermé dans la prison de haute sécurité de Rabat dans l'isolement le plus total. Après 7 mois, il peut envoyer un message au monde extérieur: son esprit n'est pas brisé pour autant.


La révolte trouve des échos dehors


Entretemps, les révoltes continuent à éclater dans les autres prisons, les évasions se succèdent, les attaques contre la police continuent à chauffer les esprits dehors. Cocktails molotovs contre les commissariats, confrontations physiques avec la police. De nombreux syndicats de matons se font également viser. Vitres brisées, locaux incendiés, tags dénonçant leur rôle de bourreaux. Leurs voitures se font brûler comme dernièrement encore devant la prison à Ittre. Les syndicats des matons se plaignent de fréquentes insultes ou même tabassages quand des matons sont reconnus dans la rue, dans les bars, devant leur domiciles. Un service en vaut un autre...
«Une bombe incendiaire contre la façade de la maison d’un gardien n’est plus une exception,» se plaint le syndicat. «Les gardiens, médecins, directeurs et assistants sociaux travaillant dans le module d’isolement de la prison de Bruges sont attendus quand ils sortent de leur boulot. Des gens les attendent à la sortie pour les insulter, les harceler et ils se font systématiquement prendre en photo.» dit Laurent Sempot, porte-parole de Hans Meurisse, directeur général des prisons. Les entreprises qui construisent de nouvelles prisons ou entretiennent celles déjà existantes s’en prennent plein aussi. Les rassemblements et les manifestations sauvages contre les prisons et en solidarité avec les révoltés se multiplient dehors.


Après la destruction, c’est le réaménagement du QHS


Le QHS sera de nouveau mis en service dans le cours de l’année 2009 et fera quelques changements de décor. Depuis lors, le lit et le lavabo sont attachés au sol et fabriqués en acier. L' armoire est retirée. L’équipe de matons changera. Les types nazis, armoires à glaces seront remplacés par un mélange plus productif. S’introduiront un plus vieux “avec qui on peut parler”, un belgo-marocain jouant sur la communauté, quelques femmes, des gens qui ressemblent moins à des bourreaux mais qui le sont autant, de par la fonction qu’ils acceptent de réaliser. Une télé plasma est installée dans chaque cellule pour apaiser la rage : un coup raté. La télé est installée telle qu’on ne peut pas la regarder sans se mettre dans une position impossible. Viendront s’ajouter à l’équipe de gérants du QHS: des infirmières qui administrent une dose de calmants trois fois par jour et harcèlent ceux qui la refusent, un psychiatre qui rentre - avec 6 matons - dans les cellules des détenus pour les convaincre que la résignation sera le seul salut.


Aujourd’hui encore, les protestations contre l’isolement ne cessent pas


Nordin Benallal est enfermé dans le QHS en octobre 2010. Après son évasion de la prison de Ittre en octobre 2007, il sera repris en Hollande et enfermé dans le camp de concentration réaménagé en prison, dans le quartier de haute sécurité de Vught, qui servira comme exemple pour mettre en place le QHS de Bruges. Hans Meurisse s’acharnera spécialement sur lui, car 9 mois après, Nordin se retrouve toujours enfermé dans le QHS, sans la moindre évolution dans son régime de détention. Courrier censuré, pression continuelle afin de prendre des médicaments - ce qu’il a toujours refusé – interdiction de visites, sauf à table pour ses parents et sœurs et visite à carreaux pour deux amis, et ce depuis 9 mois déjà. Comme en Hollande, Nordin refuse de sortir au préau dans la cage à lion - qui n’est rien d’autre qu’une insulte. Il n’aura pas respiré un peu d’air frais et vu le ciel depuis presque 4 ans maintenant.
Farid sera encore trimballé de prison en prison et sera de nouveau enfermé dans le QHS en mai 2011. Sa révolte est quotidienne, à chaque occasion possible, il montre sa rébellion face à son enfermement. La solidarité entre les deux détenus est grande. Ils s’entre-aident le plus qu’ils le peuvent, avec le peu de moyens qu’ils ont. Le 20 juin 2011, Nordin et Farid entament une grève de la faim et de la soif ensemble. Après 5 jours, ils suspendent la grève. Farid allait être mis au goutte-à-goutte et n’avait pas de prise sur ce qu’ils allaient bien mettre dedans. Cela fait des années que le personnel pénitentiaire menace de lui injecter des calmants dangereux. Tous les deux sont déterminés à ne pas vouloir leur faire ce plaisir là, ils ne sont pas prêts de mourir.
Un rassemblement de solidarité a lieu devant la prison de Bruges après 5 jours de grève de la faim et de la soif. Une trentaine de personnes, proches, amis et compagnons de Nordin et de Farid, expriment leur solidarité et dénoncent l’existence des modules d’isolement. Après la lecture de quelques communiqués par les sœurs de Nordin, une banderole disant «Brisons l’isolement. Pour un monde sans prisons» est déployée, des slogans sont hurlés.
Dans le quartier d'isolement, ça continue à gueuler de tous les côtés, les détenus n’acceptant pas d’être jetés dans les oubliettes de l’État: c’est cette rage-là que nous continueront à diffuser dans la rue.

Nous nous reconnaissons dans leurs actes de révolte contre la justice et contre l’enfermement. Tout comme nous nous reconnaissons dans tout choix de défier ce monde basé sur le capitalisme et l’exploitation. Nous ne voulons pas de ce monde basé sur le modèle carcéral. Ils voudraient que nous devenions tous flics dans nos têtes, pour nous convaincre que cela ne sert à rien d’affronter la misère que nous subissons, que nous ferions mieux de mendier quelques miettes de changement. Ils voudraient bien nous apprendre à nous fliquer les uns les autres, à balancer nos complices. Nous faire croire qu’il vaut mieux se ranger, baisser la tête, travailler comme des esclaves, accepter l’humiliation, vendre notre dignité.

NOUS LEUR DISONS: JAMAIS DE LA VIE.
SOLIDARITÉ AVEC LES RÉVOLTÉS DEDANS ET DEHORS.