Faire sauter les voies sans issue…

Il y a des problèmes pour lesquels il n’existe pas de solutions dans cette société. On vit dans une voie sans issue. Quand on trouve un lieu pour y habiter et avoir un chez-soi, il faut chercher de l’argent pour le payer. Quand on réussit à traverser les frontières à la recherche d’une vie meilleure, il faut obtenir des papiers pour vivre dans ce nouveau pays. Alors on marche dans la rue, on marche dans cette voie sans issue en abandonnant notre propre volonté, nous limitant à la recherche de la survie.

Il y a des problèmes pour lesquels il n’existe pas de solutions dans cette société. Tous, nous le savons et pourtant… Si nous gardons espoir, souvent il ne porte rien de plus que le désir d’être, un jour peut-être, finalement accepté par cette société, intégré dans ses structures. Cette société qui nous écrase, qui nous opprime, qui nous crache dessus, on voudrait être intégré dans ses structures… La nécessité de survivre nous fait accepter que la vie soit dure et on pense qu’on est fort si on est capable de la subir jusqu’à l’infini. On se sent mal quand la société nous frappe, mais on est heureux quand elle nous embrasse. Et on continue à marcher dans cette voie sans issue, car quand même, ici c’est mieux que là-bas… On continue à marcher dans cette voie sans issue, en se cognant la tête contre ses murs, jusqu’à la perdre… la tête.

Peut-être qu’il est l’heure de faire sauter cette rue. Cette rue qui s’appelle Rue de l’Oppression, Rue de la Domination, de la Survie, de l’Inégalité, de l’Autorité, Rue de l’Etat, de la Police, de la Justice, Rue de la Cruauté, de la Prison, de l’Expulsion… Rue de la Monotonie et de l’Abrutissement, de l’Ennui et du Désespoir. De la Soumission, de la Résignation, de la Concurrence. Cette rue qui fait bien partie de toutes les villes du monde, car ce monde de chefs se nourrit de notre misère, partout, et toujours.

Si nous marchons comme des prisonniers dans cette ruelle, c’est en partie à cause de l’idéologie du pouvoir. L’idéologie qui nous dit qu’un esclave capable de porter des kilos sur son dos est un bon esclave. La peur des représailles du maître fait que l’on ne se révolte pas. Autant que le chantage et l’isolement que les chefs utilisent pour nous garder au calme. Le chantage, et des promesses, des promesses d’une régularisation, des promesses d’une pension après des années de dur labeur, des promesses de vacances, d’une belle voiture ou d’un avenir pour nos enfants. Et alors, on oublie la rage. On l’étouffe parce qu’on finit par croire qu’il vaut mieux ne pas s’énerver, qu’il faut tout simplement encore faire un effort, qu’il faut sourire une fois de plus, et penser que tout est bien comme ça.

Des fois, on remarque des dessins sur les murs des ruelles. Des dessins qui expriment une voix claire contre ce monde d’humiliation. Feu aux prisons! Sabotons la machine à expulser! ou encore Vive la révolte, l’évasion, les mutineries! Solidarité avec les insurgés! Au milieu de la grisaille, ces traces écrites nous rappellent de rester un être humain face à ce monde de béton et de barreaux. Se révolter…

Ces derniers mois, des rumeurs circulent dans les ruelles de nos vies. Des rumeurs qui parlent d’émeutes, de soulèvements et d’insurrections. Des rumeurs de la possibilité de s’insurger contre le pouvoir, de détruire les bâtiments des responsables de la misère, d’être solidaires les uns avec les autres dans la lutte. Et on commence à réaliser, lentement, que la plus puissante arme du pouvoir est qu’il nous a volé notre imagination. Si cela est possible maintenant, pourquoi ne l’était-ce pas avant? Si cela est possible là-bas, alors pourquoi pas ici? Le pouvoir nous laisse pour unique rêve celui d’être bien intégré. Etre quelqu’un qui travaille (le métier de ses rêves) et qui dépense son argent dans des marchandises. La soi-disant la belle vie…

Mais là, on a bien compris qu’on n’a plus rien à attendre du pouvoir. Il est comme il est : il aime l’argent, et le contrôle ; point barre. Alors, pourquoi ne pas nous défaire de ces rêves qui nous enchaînent ? Pourquoi ne pas arracher nos rêves au pouvoir, les extorquer de son armement ? Nos rêves nous poussent à chercher des complices révoltés. Nous permettent de regarder au delà de cette voie sans issue, et comme dans l’imagination tout est possible, cela nous invite à atteindre ce tout. Le pouvoir nous a fait croire que la misère est là pour toujours, mais on n’y croit plus. Un autre monde, une autre vie est bien possible.

La plupart d’entre nous habitent ces ruelles de la misère, mais on n’a pas besoin d’être nombreux pour commencer à lutter. Par contre, on a fortement besoin de commencer, vivre chaque jour comme une invitation à la révolte. Et oui, pour une révolution, on a bien besoin d’être nombreux, mais aussi d’idées solides. Des idées de base qui nous permettent de refuser la politique, de refuser la présence policière, la collaboration avec les institutions qui maintiennent l’ordre actuel. Des idées d’égalité, donc d’anti-autorité, des idées qui empêchent une contre-révolution, des idées dont on a besoin pour vivre en liberté. Eradiquons les rapports de domination de notre société, sinon de nouveaux chefs continueront à s’imposer. Eradiquons les rapports inégaux, car c’est également parce qu’on est habitué aux relations de pouvoir depuis qu’on est enfant, qu’on les accepte, qu’on les reproduit, qu’on les trouve normales.

On a besoin de se confronter, de crier la rage, d’être fâché. L’anesthésie nous fait oublier que le mal qu’ils nous infligent n’est pas un détail à refourguer aux oubliettes. On a raison de les faire chier, on a bien raison. Et on le fait, parce qu’on désir une rue qui s’appelle liberté et une autre qui s’appelle solidarité. On se bat pour la rue de l’individualité et de l’autonomie, de l’aventure et de l’étonnement. La rue de la volonté et de la confiance, la rue de la réciprocité et celle de la découverte. Du sourire, de l’intimité, de l’ouverture et de la chanson enthousiaste…