Matonge: pour des émeutes contre tout pouvoir


Soyons clairs et nets: la situation sociale et économique au Congo vaut bien - et on dirait au moins - quelques émeutes à Matonge. L'exploitation terrifiante de la population aussi bien par des entreprises occidentales que par des patrons locaux, les massacres continuels perpétrés aussi bien par le régime de Kabila que par les soi-disant opposants et seigneurs de guerre ou de clans, la corruption et la terreur politique qui infeste tous les domaines de la vie sociale... Autant de raisons pour exprimer sa rage et se battre pour des changements fondamentaux.

Nombre de personnes diront que tout ira pour le mieux au Congo si une "véritable démocratie qui fonctionne" s'y installait. Selon les intempéries du moment, les partisans de celle-ci ("l'opposition") changent de nom. Aujourd'hui il semble que ce nom soit celui de Tshisekedi, à qui le régime de Kabila n'est pas prêt à céder le pouvoir. Demain, une fois Tshisekedi au pouvoir, ce nom serait autre, voir redeviendrait celui de Kabila (junior junior, peut-être) et ainsi de suite. C'est le cirque politique, démocratique ou pas.

Entendons-nous bien: il est nécessaire de se battre contre le régime de Kabila, mais ce n'est pas pareil de se battre contre un régime pour le remplacer par un autre que de lutter pour la liberté tout court, et donc contre tout régime. Le pouvoir peut changer de couleur, peut effectivement devenir plus acceptable et moins corrompu (en général au prix de devenir plus insidieux et moins facile à combattre), mais il restera toujours le fond de tous les problèmes. Tant qu'il y aura pouvoir, il y aura exploitation, massacre, corruption, terreur. Se battre contre tout pouvoir ne signifie pas vouloir une guerre civile et permanente; nous pensons simplement que la liberté de chacun et de chacune, des rapports de solidarité et d’auto-organisations, donc libérés de toute autorité, sont les meilleures armes contre les horreurs de ce monde, beaucoup plus forts et durables que n'importe quel régime qui prétend "protéger" le peuple pour mieux régner sur lui.

Certains diront peut-être qu'il faudrait avancer pas par pas, qu'on ne change pas ce monde de pouvoir et d'argent en une nuit. Que Tshisekedi ne sera peut-être pas parfait, mais au moins un peu mieux que Kabila. Que tant qu'il y a de la dictature dans un pays, il faudrait se battre pour le transformer en démocratie, même en sachant que la démocratie est simplement une autre forme de pouvoir, et donc d'exploitation, de fossé entre riche et pauvre, d'oppression, de centres fermés, de prisons. Mais un tel raisonnement "du moindre mal" omet la possibilité de parler radicalement, fondamentalement du "bien". Et il faut le dire, aujourd'hui encore plus que hier, aussi bien au cœur de Bruxelles qu'à Kinshasa: pour vivre en liberté, pour mener une vie meilleure, une vie riche d'expériences et de goûts, riche de rapports réciproques, tout pouvoir doit disparaître, tous les politiciens et patrons doivent s'en aller. On pourrait même insister encore plus: dans un climat comme celui du Congo, il faudrait d'avantage insister sur la nécessité d'un soulèvement, d'une insurrection qui affronte toute forme d’oppression, qu'elle vienne de l'Etat, d’entreprises ou de clans guerriers.

Nous sommes sûrs que parmi les émeutiers de Matonge, il y en a qui ne se font aucune illusion sur le pouvoir et sa capacité de devenir de temps en temps plus doux. Nous sommes sûrs que la rage qui cible commerces, banques, police et institutions est capable de beaucoup plus que jouer aux partisans de Tshisekedi. Nous sommes sûrs que dans les temps à venir, à Bruxelles, nombreuses seront les occasions, multiples les prétextes pour mettre le feu à la poudrière: car la liberté s'est déjà montrée lors des soulèvements en Tunisie, en Egypte, en Libye, elle se lève en ce moment même en Syrie et au Kazakhstan (où des milliers des grévistes se sont insurgés contre l'Etat), elle doit se lever aussi à Bruxelles et ailleurs. Son drapeau n'est pas celui des Tshisekedis du monde entier, ni celui des nationalistes flamands ou autres, ni celui de politiciens ou d'aspirants-politiciens. Son drapeau, c'est simplement le refus de la politique, de la domination, du pouvoir, c'est la revendication non-négociable d'une vie libre et pleine.