Cris de révolte, cris de rage. Cris d’espoir et de souffrance.
Probablement on n’est pas très nombreux à encore les entendre,
assourdis comme sont nos contemporains par l’infernal bruit des
choses à acheter et des infos à avaler. Mais certains l’ont
entendu, malgré l’épaisseur des murs. Mutinerie à la prison de
Hasselt en solidarité avec un rebelle mis au cachot pour avoir levé
la voix contre la terreur des matons. Emeute des jeunes enfermés à
Everberg contre les horizons de leurs vies fermés par des barreaux
et des gardiens. Incendies dans les prisons de Louvain et d’Anvers,
allumant des torches étincelantes dans l’obscurité du monde
carcéral. On les a entendus, ces cris ; dans nos oreilles, ils
sonnent comme des chants, des chants de courage et de solidarité,
des chants de révolte et de dignité.
Qui nous apprend encore à chanter ? Entre le bruit des clés
dans les portes des cellules et les blips des appareils
technologiques qui nous enchaînent ; entre les ronrons des
politiciens qui parlent de sécurité et de travail et les esclaves
qui tapent le rythme de la mort sur les claviers ; entre les
engins de chantier et les grues qui érigent les bâtiments d’un
monde étrange à la vie et les ordres gueulés à tout coin de rue
par des abrutis en uniforme et de citoyens zombis ; entre les
balles de flics qui pénètrent dans la chair des indésirables et
les publicités bombardées à une vitesse vertigineuse. Dis-moi,
quel chant entends-tu encore ? Pourtant, l’être humain qui ne
chante plus est un être mort. Un mort-vivant. Le sang ne bouillonne
plus dans ses veines, son cœur ne bat que sur le rythme de
l’autorité, sa voix ne s’élève que pour répéter la voix de
son maître.
Ne sentes-tu pas l’attrait mystérieux quand quelqu’un chante
malgré tout ? Ne sentes-tu pas que le battement de ton cœur
s’accélère, ne sentes-tu pas cette fantastique mélange entre le
désir et l’incertitude, oui, la peur, face à l’inconnu ?
Le chant, les chants de révolte et de liberté en particulier, ne
donnent pas des explications précises, ni fournissent des raisons
objectives. Le prisonnier qui se révolte, l’esclave qui se dresse
debout, l’opprimé qui attaque son oppresseur, tous ont des
raisons, mais les mots bruts ne sauraient exprimer vraiment ce qui
les agite. Les explications donnent souvent plus de prise aux
puissants pour écraser les révoltés, pour mieux les étouffer,
pour couvrir de béton ce qui couve profondément dans chaque être
humain.
Chante, chante, la vie nous appelle. Les cris de révoltes appelle
à des échos de révolte, pour rajouter des refrains, mélanger des
mélodies, faire résonner des instruments magnifiques. Partout
autour de nous, les étouffeurs du chant sont à l’œuvre. Le
pouvoir a commencé à marteler son projet : la sécurité pour
Bruxelles, tout le monde sous vidéosurveillance et la construction
d’une maxi-prison à Bruxelles pour faire peser la menace sur
chacun et chacune. Nos chants, ce sont des chants d’amour, d’amour
pour la liberté, pour la solidarité, mais ce sont aussi des chants
de rage, de feu et de plomb contre les étouffeurs de la vie, contre
tous ceux qui protègent la société actuelle.
Les chants frappent déjà à vos portes. Que ce soit une
mutinerie dans une prison ou un cocktail Molotov jeté sur des
voitures d’entreprises qui veulent construire la future
maxi-prison ; que ce soit le guet-apens tendu contre les flics
ou les chantiers de la mort sabotés pendant la nuit. Tous des chants
différents, tous des chants de vie et de révolte. On n’attend pas
à ce qu’un autre chante en premier, on respire profondément et on
commence, c’est tout. On n’attend pas les masses qui descendent
dans la rue, on se fie plutôt sur ceux qu’on connaît, ceux animés
par un même désir de chanter à pleins poumons.