Récit d’une petite manif sauvage à Anderlecht
DANS LA RUE Samedi 7 juin. 16h de l’après-midi. Il fait particulièrement chaud et la ville semble être au ralenti. En arrivant à la Place du Conseil à Anderlecht, la présence de quatre fourgons de police, stationnés devant la maison communale, saute aux yeux. Faut changer d’air, la place pue trop l’ordre. Trois banderoles sont deployées. Sabotons la maxi-prison. Ni rafles, ni contrôles, ni expulsions, feu aux papiers. Promoteur immobilier, bourge, eurocrate ; dégage. Le haut-parleur porte la voix des compagnonnes qui expliquent notre présence, qui appelent à la lutte, qui rappellent aux policiers présents la liste sinistre des personnes mortes et torturées lors de leurs interventions.
Une demi-heure plus tard, la quarantaine de personnes descendues dans la rue se mettent en mouvement et prennent la rue. Les slogans résonnent fort. Ni flic, ni maton, ni maxi-prison. Il est temps de saboter la machine à expulser. Hors-la-loi, contre l’Etat. Vol, pillage, sabotage, inaugurons leurs nouvelles prisons. La flicaille court vers les fourgons. Elle se dépêche. En voyant se refermer un piège pour bloquer l’ensemble de la manifestation, un rapide virage est pris. Les policiers sont supris, ils sautent des fourgons et se ruent sur les compagnons. Quelques coups sont échangés, ils tapent avec leurs matraques. Au final, cinq personnes sont arrêtées. La police se met en rang pour protéger l’arrestation. Trois rangées d’au moins quinze flics chacune. Les personnes arrêtées sont traînées aux fourgons, elles passeront quelques heures dans les cachots du commissariats avant d’être relâchées.
Deux heures plus tard, un joyeux groupe coupe les grillages qui entourent le terrain vague le long de la rue Brogniez (toujours à Anderlecht). Les grands murs blancs se transforment en autant de cris de rage. Des grandes lettres déssinées, Feu aux prisons, d’autres plutôt faites avec hâte qu’on a d’en finir avec ce monde. Avec quelques plaques en bleu, le terrain est rebaptisé Place Robin des Bois (Célèbre bandit et cauchemar historique des riches et des autorités).
Pendant deux semaines, notre présence pour appeler à cette manifestation a été plutôt palpable dans les quartiers d’Anderlecht, Saint-Gilles, Forest, Anneessens et Molenbeek. Que ce soient la quinzaine de milliers de tracts distribués, le millier d’affiches collées sur les murs ou tout simplement les rencontres et petites discussions lors des différentes initiatives. On pense qu’on a quand même réussi à se donner les moyens, autonomes et non-médiés, pour faire en sorte que la plupart des gens habitant dans ces quartiers soient au moins au courant de cette initiative de lutte, qui a été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme par de nombreuses personnes. Malgre l’enthousiasme qu’elles pouvaient exprimer pendant les distributions de tracts, on s’est retrouvé presque uniquement entre compagnons et compagnonnes. D’un côté, cela ne nous empêchera pas de continer à proposer des occasions pour lutter ensemble, et de l’autre, de construire un parcours autonome de lutte. On sait très bien que le problème de la prison, ce n’est pas seulement les murs, les gardiens et les barreaux, c’est aussi la réproduction du rôle de prisonnier qui en assure la perennité. Notre lutte, ce n’est pas seulement une lutte contre la construction d’une maxi-prison, les rafles ou contre l’aménagement de la ville en grande prison à ciel ouvert. C’est aussi un combat, plus profond encore, plus difficile encore, un combat acharné et virulent, un combat contre la resignation sur laquelle repose ce monde pourri.