Depuis quelques mois, une lutte est en cours contre la construction d’un nouveau centre fermé pour étrangers à Steenokkerzeel, près de Bruxelles. Il y a beaucoup de raisons et de manières de s’opposer à un monde qui construit des centres fermés pour expulser du pays ceux qui sont considérés comme de trop. Un monde qui met des millions de gens en fuite, qui les tolère tandis qu’il peut les exploiter à volonté et les déporte quand l’économie n’a plus besoin d’eux, quand ils commencent à représenter un danger pour l’ordre établit ou pour effrayer les autres sans-papiers et les pauvres. La lutte contre la construction du nouveau centre fermé est donc indissociablement liée à d’autres terrains où le conflit social se fait sentir.
Après des années de résistance de sans-papiers (par des centaines de manifestations, de rassemblements et d’occupations), l’Etat avait finalement préparé sa réponse à tous ceux – et ils ne sont pas peu – qui ne sont pas prêts à enterrer la hache de guerre et à prendre place à la table de négociations. Une majorité des sans-papiers en lutte a opté pour la politique et ceci était le prétexte à des discussions sans fin de ces grands messieurs à propos d’une régularisation. La régularisation actuelle est donc d’un côté un moyen de calmer l'acitivité autour des déportations et des centres fermés, et de l’autre côté une manière pour l’Etat de répondre à son besoin d’avoir plus de prise sur l’immigration ; une immigration qui selon eux doit être accordés aux besoins économiques d'une main-d’œuvre bon marché et docile. La régularisation va de pair avec un développement plus poussé de la machine à expulser, entre autre en agrandissant les centres fermés existants et en construisant un nouveau centre fermé à Steenokkerzeel où sont incarcérés les sans-papiers qui seront expulsés.
L’Etat a fait tout pour camoufler cet œuvre, mais il y a quelque chose de « spécial » concernant ce nouveau centre fermé. Il sera différent des centres existants. Pourquoi ? Parce que ces dernières années, des dizaines de révoltes, de mutineries, d’attaques contre les matons et d’évasions ont eu lieu dans les centres fermés, jusqu’à la destruction d’une grande partie du centre 127bis par moyen d’un incendie coordonné à minuit pile le … août 2008. Voilà la raison pour laquelle l’Etat veut maintenant une structure spécifique pour isoler les sans-papiers qui se rebellent et étouffer aussi bien que possible les révoltes. Voilà pourquoi la construction de ce nouveau centre fermé, avec ses cellules individuelles, ses caméras de surveillance et ses sas de sécurité, est indissociable de la dynamique de révolte qui s’est développée ces dernières années dans les camps de l’Etat.
En plus de critiquer le fait que les frontières servent à séparer les pauvres d’ici des pauvres de là bas, à monter les uns contre les autres le plus possible, cette lutte vise aussi le caractère changeant de l’immigration ; elle essaye de mettre le doigt sur une tendance qui pourrait donner le ton dans les années à venir. Les flux migratoires continuent à se grossir et deviennent, même pour les Etats, avec leurs armées, leurs polices et leurs protections technologiques, toujours plus difficile à contrôler. Traqués par la pauvreté, la destruction de l’environnement, la guerre et l’oppression, la Méditerranée devient moins infranchissable à beaucoup de pauvres; les barbelés et les douanes deviennent un obstacle surmontable. Les milliers d'entre ceux qui arrivent chaque année ici, c’est-à-dire, la pauvreté du monde entier, et les changements de l’économie comme par exemple « la crise » actuelle, presse sur les soi-disant « acquis sociaux » qui camouflent depuis aussi longtemps la misère produite par le capitalisme. Toujours plus de gens, sans et avec papiers, seront mis sur la touche, simplement parce qu’ils ne sont plus utilisables aux yeux de l’économie. La lutte contre la construction du nouveau centre fermé, contre cette réalisation concrète de la politique d’exclusion renouvelée, est une possibilité pour recommencer à parler du choix de combattre cette société divisée en riches et pauvres, en opprimés et oppresseurs. Une tentative qui n’est certainement pas vaine à une époque où le mécontentement et la rage sont toujours plus enrégimentés par les nationalismes qui s'exacerbent les uns contre les autres; par les religions qui prêchent l’asservissement ; par l’idéologie du brave citoyen qui propose à tous de devenir des flics sans uniforme.
La lutte contre la construction de ce nouveau centre fermé ne tombe donc pas du ciel. Mais alors, une autre question importante surgit, une question qui n’est pas séparée de nos propres désirs, rêves et idées, une question à laquelle les réponses ne peuvent être des suggestions et des indications : comment ? Que faire pour empêcher la construction de ce nouveau centre fermé et mettre des bâtons dans les roues de la machine à expulser ?
Le comment, la méthode que nous estimons la plus adéquate, refuse toutes les formes de politique et de représentation. Elle est basée sur le choix individuel de chacun et de chacune de s’engager dans la lutte et pas sur l’adhésion à un groupe ou programme politique quelconque. En d'autres mots, notre proposition c’est l’auto-organisation de la lutte. Ne pas laissez dépendre la lutte de politiciens ou de leaders, de leurs manières à arriver à des négociations avec l’Etat (comme voter « différemment » aux élections, des pétitions pour supplier les puissants, d’entamer un dialogue avec les responsables de la construction du centre), mais de la prendre en mains nous-mêmes. Ceci est une manière pour arrêter et empêcher la construction du nouveau centre nous-mêmes et d’une manière directe. Seulement ainsi, nous pouvons lutter pour un empêchement effectif de la construction de ce nouveau centre et éviter de tomber le piège d’un dialogue avec l’Etat à propos d’une éventuelle adaptation plus humaine des plans de construction.
Cette auto-organisation ne signifie pas forcément qu'il faut former un quelconque comité ou collectif, mais plutôt de rendre possible des moments de rencontre, créer des discussions, échanger des idées. Comme par exemple lors de rassemblements, de petites manifestations, de soirées de soutien à la lutte,… Mais le but n’est pas juste de parler tous un peu plus de ce nouveau centre fermé, de le critiquer pour ensuite aller se coucher avec la conscience apaisée. Non, l’auto-organisation est orientée vers l’agir, vers l’action.
Pour rendre possible l’action, il faut considérer l’ennemi dans toute sa concrétisation. Qu’il ne s’agit pas d’une entreprise qui construit le nouveau centre fermé, mais bien les entreprises Besix, Valens, Michiels etc. Que le centre fermé n’est pas juste un tas de barreaux, mais qu’il fonctionne grâce aux matons qui ont des noms et des adresses, grâce aux entreprises de nettoyage et de restauration comme ISS Cleaning et Sodexo, grâce aux médecins qui anesthésient et taisent ce qui s’est passé quand des prisonniers ont été tabassés par des matons. Que les gérants, l’Office des Etrangers, tous les partis et institutions politiques, les organismes européens de gardes-frontières comme Frontex, ne sont pas des abstractions, mais qu’ils consistent en des personnes concrètes qui portent toutes une responsabilité dans l’organisation de cette machine à expulser. Ces informations doivent circulent largement, doivent être accessibles à tous et toutes. La diffusion de ce genre d’informations est et restera toujours un élément fondamental de toutes les luttes. Un élément fondamental, mais ce n’est pas tout…
Car des idées pareilles se traduisent en mouvements de nos mains et de nos pieds ; notre volonté d’engager la lutte cherche des points de repère dans le monde physique. Il y a beaucoup de possibilités intéressantes... Une d'entre elles, ce sont des attaques modestes, simples et reproductibles contre toutes les structures et les hommes responsables de la construction de ce nouveau centre fermé et contre les rouages de la machine à expulser. Cette méthode permet à chacun et chacune, de la manière qu’il ou elle estime la plus adéquate, de prendre part à la lutte en première personne. Et ces attaques ne parlent pas seulement de la lutte contre le centre fermé. Elles parlent d’une manière qui refuse tout dialogue avec l’ennemi et qui ne perçoit pas la lutte sociale comme un spectacle politique, comme une affaire de partis et de syndicats, mais justement comme un conflit direct avec ceux qui endiguent nos vies. Au fur et à mesure que ce genre d’actes (la résistance lors des contrôles d’identité, le rejet de la bureaucratie qui, à travers tout genre de document, met nos vies sur ses rails, la casse des fausses catégories d’autochtones et d’allochtones, de nationalités et d’ethnies, le sabotage du mécanisme d’exploitation de sans-papiers et de toute le monde) s’élargissent, se diffusent et incitent d’autres, les grains de sables commencent à ronger la machine à expulser. Faisons alors en sorte qu’il n’y ai plus de pièces de rechange disponible.
Le plus bel aspect de chaque lutte qui ne se laisse pas embrigader par la politique, est sans doute qu’elle bouleverse les rôles sociaux. Dans un monde qui nous compartimente tous, qui nous enferme la plupart de la journée au boulot, dans les embouteillages ou derrière le fourneau, seule la lutte fait éclater cette routine macabre. Le plus beau du combat, c’est que tu apprends à mieux te connaître, que tu peux croître en idées, en rêves et en pratiques, que tu peux forger des liens avec d’autres, des liens complètement différents de tout la nausée que cette société nous offre. Voilà pourquoi cette lutte n’est pas un combat d’arrière-garde, mais une expression enragée de joie. Voilà pourquoi cette lutte vaut la peine d’être pratiquée.