La voie du conflit - France

Ce mois-ci, le gouvernement français cherche à mettre la dernière main à la réforme des retraites tant attendue. Le point le plus important dans cette réforme, c’est l’âge maximal jusqu’ auquel les gens seront obligés d’aller travailler. La nouvelle loi le fera passer de 60 ans à 62 ans. Pour contester cette réforme, quelques grandes manifestations et grèves ont déjà eu lieu en septembre. Ces mobilisations ont surtout été menées à l’appel des syndicats. Ce mois-ci, la contestation est devenue beaucoup plus intense. Presque quotidiennement des manifestations ont lieu dans de nombreuses villes, rassemblant des centaines, des milliers, voire même des millions de gens. Quasi tout le secteur public est en grève, certaines villes comme Le Havre et Marseille sont même complètement paralysées et les blocages de dépôts, de gares, d’autoroutes font tâche d’huile. Comme par exemple ces blocages des raffineries de pétrole où des ouvriers, parfois aidés par des riverains, bloquent tout le bazar… ce qui fait hanter le spectre d’une pénurie de pétrole dans tout le pays.
La rébellion ne se limite cependant pas aux lieux de travail et se diffuse comme une traînée de poudre dans une grande partie de la société française.
Déterminés, des lycéens descendent dans la rue avec leurs propres désirs. Ainsi, quasi quotidiennement des manifestations sauvages partent des lycées, souvent bloqués par les lycéens, pour partir en ville. Affrontements avec la police, destructions de banques, pillages de commerces, incendie de voitures et ici et là, même une école qui part en fumée. Tandis que dans de plus en plus de quartiers des émeutes éclatent, des attaques se succèdent partout contre bien de choses qui donnent le coup de grâce à la liberté de chacun. Les flics, les banques, les commerces, des structures de l’Etat deviennent la proie des pierres et du feu. Il semble qu’un vent chaud souffle sur les visages de toujours plus de gens, et les inspire à contribuer à un conflit qui touche de plus en plus d’aspects de la vie quotidienne.


Sans doute, un des points intéressants de ce qui est en train de se passer en France, ce sont les ruptures avec le train-train quotidien. Car des gens décident, collectivement ou individuellement, d’abandonner ce qu’ils « devraient » faire, et commencent à faire ce qu’ils veulent faire. Ainsi, des brèches sont forcées aussi bien pour ceux qui y participent activement que pour ceux qui par là voient alors changé leur agenda. Ces brèches peuvent donner l’énergie, l’espace et le temps pour réfléchir à autre chose que l’enchaînement des obligations qui se répète à l’infini. Certaines de ces brèches, comme lors des blocages, s’attaquent directement à l’économie et deviennent ainsi une menace pratique du fonctionnement aisé de la machinerie capitaliste. D’autres brèches, comme lors des manifestations sauvages où éclatent des batailles avec les flics, portent peut-être moins visiblement cet aspect, mais deviennent également une menace à cause de la joie que découvrent les gens qui expriment leur rage. La fête est évidemment complète quand ces deux aspects sont combinés.


Mais s’impose alors la plus importante question. Où est-ce que nous voulons aller avec notre rage ? Notre cœur bat plus vite quand le mécontentement et les frustrations explosent et donnent du souffle à une révolte qui brise la paix sociale, se soustrayant au contrôle des syndicats ou d’autres politiciens. Des manifs sauvages, des émeutes contre les flics, foutre le feu ou tout casser . Ce sont des moyens puissants et nous font expérimenter dans notre propre peau que bien de choses sont possibles. Mais n’en restent pas mois que ce ne sont que des moyens. Ils n’acquièrent leur signification entière dans le but auquel ils sont employés. Est-ce que ce sont des moyens pour évacuer des frustrations, sans plus ? Est-ce qu’ils servent à donner une position plus forte autour de la table des négociations ? Ou est-ce que ce sont des instruments qui peuvent rendre vivants, ici et maintenant, des désirs qui s’opposent diamétralement avec l’ordre actuel, et qui ne s’ouvrent donc pas aux négociations…  Est-ce que nous voulons un patron plus gentil ou est-ce que, simplement, nous ne voulons plus de patrons du tout ? Est-ce que nous voulons des meilleures conditions dans les prisons ou est-ce que nous voulons éliminer la menace de la prison pour tout le monde ? Est-ce que nous nous contentons avec les faveurs d’un système que nous trouvons en fait dégueulasse et merdique ou est-ce que nous voulons abattre ce système une fois pour toutes ? Si nous arrivons à la conclusion que tels sont nos désirs et que nous ne voulons plus les confier à d’autres, alors ils peuvent devenir le carburant inépuisable pour un combat contre tout ce qui limite nos vies, nie nos sentiments, cherche à étouffer notre individualité et nous emprisonne. Des usines aux écoles, des prisons aux façons dont nos relations quotidiennes se développent. A travers tout notre environnement, aspirant à quelque chose de complètement différent.


Pas loin d’ici
Aussi en Belgique, il est difficile de prétendre que règne la paix sociale. Les mutineries incessantes dans les prisons, les grèves sauvages qui éclatent ici et là, une hostilité face aux flics qui explose parfois, une hostilité face au cours normal des choses qui explose souvent. Aussi ici, nous voyons comment des gens choisissent la voie du conflit et crachent ainsi sur le compromis éternel de la vie qui leur est proposée. Où ce chemin peut nous mener dépend entièrement de nous-mêmes, de ce qui s’agite dans notre cerveau et dans notre cœur et de ce que nous sommes prêts à en faire. Chaque moment isolé qui se transforme en scène de combat contre la misère quotidienne, peut devenir un moment où est remise en question la misère dans son ensemble. Un moment où le monde qui produit cette misère est attaqué dans son ensemble.
En route vers un monde qui n’accepte pas cette misère…