Des deux côtés du mur...

Le baromètre dans les prisons belges semble indiquer une prochaine tempête. Depuis des années, la révolte couve au sein des établissements pénitentiaires, chaque prisonnier pour ses raisons à soi, et depuis des années aussi se dessinent à l’extérieur des prisons des oppositions irréductibles et dures à la prison et à l’existence même d’un endroit aussi abject. Parcourons ce qui s’est passé ces dernières semaines, ce qui donne le rythme à un conflit qui va grandissant et qui, espérons-le, embrassera sous peu les prisons.

Sur les évasions récentes
En quelques semaines, trois évasions avec prise d’otage d’un maton (7 prisonniers évadés) se sont produites, et une tentative a échoué. Scandale, grève des matons, alertes de sécurité au sein des prisons, et ici et là, cris de joie dans la rue.
D’une certaine manière, chaque évasion trace dans la société deux côtés. L’un va condamner de toutes ses forces l’évasion, dépeindre les évadés comme des barbares qui agressent et violent ceux qu’ils croisent sur leur route, exiger d’avantage de peines, de sécurisation des prisons, donner carte blanche pour une exécution sommaire des évadés. L’autre va reconnaître dans l’évasion un désir de liberté qui se trouve, peut-être d’une autre manière, aussi en lui ; il comprendra ce qui pousse quelqu’un à enjamber les murs, le liera avec son propre rejet de l’état actuel des choses. Et au milieu, on l’oubliera presque, entre ces deux, dans cette zone grise qui se vante de son démocratisme, ceux qui vont peut-être dénoncer les conditions dans les prisons, mais uniquement pour rendre l’enfermement plus efficace (et certainement pas pour les abolir comme une monstruosité inventée par le pouvoir), ceux qui vont « comprendre le désespoir », mais plaider pour une punition plus efficace, ceux qui, en d'autres mots, n’ont jamais pu concevoir la liberté autrement que comme un ensemble de droits et de devoirs, de lois et de contrats.
Chaque évasion est donc aussi un défi à tout le monde pour réfléchir sur ce qu’est la prison et, dans notre cas et celui d’autres rebelles, pourquoi et comment nous la combattrons. En tant qu'ennemis de tout pouvoir, nous n’utilisons pas des armes chargées d’autorité, de réformes de lois, de négociations et de dialogues ; mais des armes forgées dans la liberté, dans le refus de commander et d’obéir. Et cet aspect, cette qualité de liberté nous rend capables de distinguer la prise d’otage quotidienne qu’exerce l'État sur les milliers de prisonniers dans ses taules, d'une prise d’otage de quelques instants pour obliger un geôlier à ouvrir les portes de l’enfer. Les gardiens de prison, qui se lamentent et font grève pour dénoncer cette manière de s’évader (comme s’ils ne dénonceraient pas aussi toutes les autres manières de s’évader), sont effectivement, au sein de la prison, de simples obstacles à franchir, comme les barreaux, les murs, les barbelés. Il n’y a rien de compliqué là-dedans, et les actes de torture, de violence gratuite et humiliante, restent jusqu’aujourd’hui le triste privilège des gardiens de prison, pas de ceux qui essayent de s’évader ou qui se révoltent contre la prison.

Sur le module d’isolement à Bruges

Le régime appliqué à nos compagnons Nordin Benallal et Farid Bamouhammad, qui se trouvent tous les deux dans le module d’isolement à Bruges, a récemment été approuvé et donc légalisé par un tribunal à Bruxelles. Des avocats avaient dénoncé les conditions de torture dans ce module, une véritable vengeance de l'État contre ces deux prisonniers qui n’ont jamais cessé de combattre la prison et la Justice, de critiquer cette société d’argent et de pouvoir. Mais le tribunal, réalisant comme toujours sa vocation de défenseur de l’ordre actuel, a considéré ce régime comme justifié (des cellules, où tout est en béton, en permanence éclairées par des phares ; la promenade dans une cage ; des menottes pour attacher Farid à la grille ou lors des rares occasions où il peut sortir de la cellule,…). Hans Meurisse, le colonel sans honte des prisons belges, en a encore rajouté une couche, en refusant de discuter avec l’avocat de Nordin à propos du régime – sale petite vengeance parce qu’une procédure devant le tribunal aurait pu critiquer son règne. Nordin et Farid sont actuellement au cachot dans le module, en signe de refus de l'ensemble de ce régime.

Et à Saint-Gilles…
Trois agressions contre des matons dans la rue, en route après leur sale boulot pour se rendre à la maison, ont suffi pour provoquer une grève au sein de la prison de Saint-Gilles. Des inconnus avaient reconnu les matons (ils avaient oublié de cacher leurs uniformes, comme les matons qui travaillent au module d’isolement cachent leur badge pour camoufler leur nom de tortionnaire) et les ont insultés, menacés, frappés, volés, bref… les ont attaqué. On ne saurait jamais oublier combien il est important de porter le conflit qui couve dans les taules dans la rue, dans une perspective offensive contre tout ce qui fait tourner la machine carcérale et ce qu’elle représente. On ne saura jamais oublier que l’injustice a un nom et une adresse.