Recension
Ce livre relate la lutte des anarchistes à Lecce (dans le sud de l’Italie) contre le centre fermé pour clandestins (un camp de déportation pour sans-papiers), géré par la fondation religieuse Regina Pacis. Leur textes ont été repris dans ce bouquin, qui les replace dans leur contexte, et donne ainsi un aperçu du conflit contre les gestionnaires et autres collaborateurs de ce camp. Au printemps de 2005, cette prison a été définitivement fermée et un peu plus tard, quelques compagnons ont été incarcérés. Entre temps, cette même fondation a déplacé ses activités « caritatives » en grande partie vers la Moldavie tandis que tous les compagnons anarchistes ont été libérés.
La lutte de ces anarchistes a été une source d’inspiration pour nombreux compagnons ailleurs dans le monde. Il y en aura toujours qui seront surpris de constater qu’une lutte contre une prison peut réellement aboutir à sa fermeture, mais ce n’est pas de cela qu’on voudrait parler ici. Car, comme les compagnons de Lecce le disent eux-mêmes : la fermeture d’un seul camp ne change absolument rien à comment fonctionne le monde.
Et cette phrase touche à la première raison pour laquelle nous conseillons ce livre : la lutte contre le centre fermé à Lecce n’est jamais resté bloquée dans sa spécificité, mais touchait à chaque fois d’autres aspects de l’oppression, en reposant en permanence les questions fondamentales du pourquoi le monde tourne comme il tourne. Cette lutte concerne les prisons, mais en même temps la guerre, la pauvreté et l’hypocrisie religieuse. Elle a rendu clair qu’il y a des responsables de l’état des choses, et qu’un peu d’imagination suffit pour pouvoir les frapper de beaucoup de manières différentes.
Ainsi on arrive au deuxième point qui nous semble important à souligner. La lutte à Lecce en est certes une pour puiser de l’inspiration et de la force, mais pas non plus une lutte à copier, à plagier. Cette lutte était justement intéressante parce qu’elle réussissait à se placer carrément dans le contexte spécifique (dans le sud de l’Italie, où l’église catholique a encore beaucoup de pouvoir, où il y a des petits villages où tout le monde se croise et se connaît et où, sur les côtes, pleins d’immigrés arrivent à travers la Méditerranée) et à agir dans ce contexte. Ainsi, les anarchistes allaient aux fêtes des villages pour distribuer des tracts contre un médecin, habitant le village et travaillant dans le camp ; ils perturbaient la messe solennelle de Pâques célébrée par l’archevêque de la Curie de Lecce, également président de la fondation qui gérait le camp. Dans leurs tracts, ils prenaient la défense de quelques attaques anonymes, comme par exemple ce cocktail Molotov jeté contre la maison du prêtre Lodeserto (le directeur du camp) après des tabassages d’immigrés au centre fermé (tabassés aussi par Lodeserto lui-même). Ou quand le portail de la cathédrale de Lecce a été incendié en solidarité avec la lutte contre les camps de déportation.
Dans beaucoup de textes, ces compagnons dénoncent les abus et les exactions à l’intérieur du centre, mais jamais ils n'en restent là. Leur lutte n’a pas été une lutte en solidarité avec des victimes enfermées, mais un combat contre ceux qui s’enrichissent en exploitant la misère des autres. Contre ceux qui font le choix de se faire du fric en exploitant la peur. La solidarité devenait vivante à travers l’action et l’agir. En somme, ce n’était pas une lutte pour la liberté des sans-papiers, mais une lutte pour la liberté de tout le monde. Et ceci, en attaquant directement, à la première personne, tous les responsables et l’autorité.
215 p., Mutines Séditions, mai 2011, Paris – 8 euro