Le Congo est juste au coin de la rue


Le combat pour le pouvoir et l’argent gaspille des vies, partout

Emeutes. Incendies. Vitrines brisées. Barricades de poubelles et de déchets. Cocktails Molotov contre des véhicules de police. Blocages de la petite ceinture. Un porte-parole de la police, un bourgmestre remplaçant, quelques journalistes encaissent des coups ou sont chassés. Depuis quelques semaines, il y a du grabuge à Matonge, Bruxelles. Le quartier reçoit sa dose de répression : des policiers anti-émeute encerclent le quartier, canon à eau, gaz lacrymogène, hélicoptère, tabassages de personnes pourtant déjà maintenues à terre. Des centaines d’arrestations, trois semaines d’interdiction de rassemblement.

Le motif premier de ces manifestations spontanées sont les élections au Congo. Ce pays infiniment vaste au cœur de l’Afrique, où c’est misère et compagnie depuis des décennies. Des entreprises occidentales reluquent les matières premières dans l’est du Congo (sans quoi, tous ces précieux portables ne seraient que des jouets en plastique). Les pays voisins, les seigneurs de guerre, les « chefs rebelles », comme l’élite politique locale et nationale reniflent la puanteur de l’argent. Ils ont recruté des soldats pour assassiner et violer. Un business d’organisations de secours qui grossissent mensuellement les comptes d’une poignée de bienfaiteurs professionnels. Un écheveau de luttes de pouvoir dans lequel les médias préfèrent ne pas salir leurs mains. Le président a malignement résolu le dernier grand conflit régional en partageant partiellement son pouvoir avec la plupart des chefs locaux. Des dirigeants rebelles sont maintenant généraux. Evidemment, tous les leaders ne sont pas satisfaits, mais la lutte pour le pouvoir n’est plus une guerre ouverte. Même si la vie quotidienne ressemble à une situation de guerre. Des villes comme Goma sont devenues, grâce à leurs statuts de bases de départ des casques bleus de l’ONU, des refuges où la survie est un combat quotidien. Dans les environs de ces villes, des vastes camps de réfugiés et des villages éloignés où des hommes armés sont une menace permanente. Certaines régions passent pour tranquilles, des régions où les gens ont maintenant le droit de se faire exploiter dans les mines de l’élite politique. Au péril de leur vie et avec la pollution de régions entières (des métaux dans les fleuves, l’irradiation nucléaire, là où l’uranium est extrait) en échange d’un minable salaire.

Une partie de la population avait placé ses espoirs dans les élections démocratiques afin de se défaire de Kabila, d’obtenir des changements et sortir de cette situation misérable. Avec la machine de propagande et la mainmise de Kabila sur les institutions étatiques, il est déjà surprenant que le candidat de l’opposition, Tshisekedi, ait une réelle chance de gagner (en sachant que même sans fraude, Kabila ramasse encore beaucoup de votes, mais assez ?). Une opposition qui, lors de la prise du pouvoir de Kabila, a simplement été mise de côté et semblait ensuite très faible. Une grande majorité de cette opposition semble s’assoupir dans les sièges du parlement de Kinshasa. Celui qui est contre Kabila, semble aujourd’hui être pour Tshisekedi. Mais le pouvoir corrompt et au Congo peut-être encore plus vite qu’ailleurs. La survie politique à Kinshasa dépend en grande partie du contrôle d’une armée qui est un ramassis de différents leaders (qui aspirent tous à un morceau toujours plus grand du gâteau), de relations avec les entreprises occidentales (qui préfèrent ne pas voir un Etat stable, capable d’imposer des règles et des taxes), d’un équilibre subtil de pouvoirs afin d’empêcher les pays voisins de commencer une nouvelle guerre. Comment Tshisekedi pourrait-il changer cela ? Comment placer nos espoirs dans une démocratie « qui fonctionne » et dans des nouveaux leaders politiques au Congo, tandis que les leaders de la démocratie belge (« le bon exemple ») défendent depuis des décennies uniquement leurs intérêts au Congo, contribuant à la situation misérable d’aujourd’hui.

La réaction du nouveau Ministre des Affaires Etrangères, Didier Reynders, en disait long. Celui qui a des problèmes avec Kabila, peut s’adresser à la Cour Suprême du Congo (au service de Kabila). Pour les leaders politiques occidentaux, tout va bien si les règles de la démocratie sont (plus ou moins) suivies. Au-delà de ça, les politiciens francophones de ce petit pays ont trop de connexions et trop d’intérêts économiques au Congo pour en avoir quelque chose à foutre de la situation misérable des gens sur place. Le MR et le PS préfèrent ne pas trop tirer dans les jambes de Kabila, c’est mauvais pour les affaires. C’est la raison pour laquelle certains manifestants à Bruxelles s’adressent aux partis flamands. Peut-être ont-ils moins d’intérêts économiques au Congo et oseront donc prendre des airs. Mais au-delà des déclarations politiquement correctes de quelques sermonneurs, c’est le désintérêt qui règne. Attendons-nous réellement que les politiciens se soucient de notre sort ?

Qui n’est pas enragé ? Le changement est-il possible tant que le capitalisme aura besoin des matières premières rares du Congo pour ses trouvailles de haute technologie ? Tant que durera le trauma des enlèvements, des viols, des massacres ? Tant que des hommes se laisseront enrégimenter pour servir les intérêts de leur leader ou autre mokonzi ? Tant que nous placerons nos espoirs dans des dirigeants politiques qui ne pourront que décevoir ?