Comment pourrait-il en être autrement?

Normal. C'est un mot terrible. Mais c’est trop souvent la réponse qu'on reçoit quand on critique cette société. Mais qu’est-ce que tu crois ? Les choses sont comme ça ! Le jugement de ce qui est normal et de ce qui ne l’est pas n’est pas aussi objectif que le prétendent les interlocuteurs. Ça dépend du regard qu'on y porte.

Pour l'État, c’est un crime. Pour les racistes, c’est une preuve de méchanceté innée d’immigrés. Pour les politiciens, c’est un prétexte pour exiger plus de sécurité et plus de prisons. Pour l’assistant social, pour celui qui pense qu’avec un peu de maquillage, la sale gueule de ce monde serait plus belle, c’est un signe qu’il faudrait s’y prendre un peu plus humainement. Pour le brave travailleur qui croît que les immigrés menacent son existence précaire, qu'ils vont lui piquer son boulot et donc ses sous ; qui ne croît pas que les capitalistes, les banques, les propriétaires, les riches le font bosser pour ensuite encaisser les profits ; pour ce brave homme, c’est quelque chose sur quoi il préfère fermer les yeux.

Dans les mois d’avril et de mai, de nombreuses révoltes, mutineries et évasions ont eu lieu dans les centres fermés italiens où sont enfermés des clandestins en attendant leur déportation. Des dizaines de personnes ont réussi à se faire la belle. A Gradisca, Rome et Brindisi, des dizaines de prisonniers sans-papiers se sont affrontés avec les matons et les militaires (en Italie, l’armée participe à la surveillance des centres fermés) et ont réussi à s’évader ensemble. Dans d’autres centres, comme à Bologne, des prisonniers ont brûlé leurs cellules et à Rome, quelques bâtiments du centre fermé ont été incendiés à deux reprises.

Et comment pourrait-il en être autrement ? Selon moi, il est normal que les individus chassés, raflés, arrêtés, enfermés, isolés et terrorisés en attendant une déportation vers un pays où ils ne veulent ou ne peuvent plus être, se révoltent. Je pense que profondément, dans chaque être humain, réside un désir de liberté. Les États, les religions, les idéologies essayent de faire pencher ce désir vers l’acceptation de l’autorité alors que l’autorité est pour la liberté ce que l’huile est pour l’eau. Ils essayent ainsi de présenter comme normal que les pauvres doivent être pauvres, que les étrangers doivent être haïs ; que certains puissent jouer au chef. Ils essayent de faire passer comme normal que la liberté soit en fait d'obéir. Mais tout comme ceux qui brûlent leur cellule, qui essayent de s’évader quand ils sont mis en cages, je regarde les choses avec d’autres yeux. Je regarde avec des yeux qui cherchent des possibilités pour attaquer les obstacles qui barrent la route de ma liberté et de celle des autres. Et tandis que, pour retourner à la situation italienne, certains brûlent leur cellule, d’autres, dehors, passent à l’attaque contre ceux qui rendent possible les centres fermés. Comme à Florence, où quelques voitures de l’association catholique Misericordia, responsable de la gestion de plusieurs centres fermés en Italie, ont été incendiées. Comme à Modène, où une dizaine de personnes ont perturbé une messe dans la cathédrale pour dénoncer le rôle du maton de Misericordia.

Je regarde avec d’autres yeux. Je ne trouve pas normal que les gens continuent à s’incliner, qu’ils se résignent au fait d’être mis sous pression, exploités, abusés et commandés. Selon moi, c'est normal, même si ce n’est que le début d’un chemin difficile et hasardeux, qu'ils tentent de résister, qu'ils se révoltent, se soutiennent et se donnent du courage.