Pour les puissants de toute sorte, la
situation dégénère gravement dans la révolution égyptienne.
Depuis des semaines, le pays est sous haute tension et les structures
du pouvoir commencent à se désintégrer. Les événements sont
particulièrement sauvages et échappent à toute direction
politique. On parle ici d’une longue série de blocages (des lignes
de métro, des rues, des trains), des attaques à coups de pierres et
de feu (contre des commissariats de police, le palais présidentiel,
l’hôtel le plus luxueux de Caire, etc), de manifestants qui
s’arment, de manifestations massives et d’affrontements (comme,
par exemple, après l’exécution des condamnés des émeutes à
Port Saïd, qu’on a d’ailleurs plusieurs fois tenté de libérer
de la prison, ou comme lors de la commémoration du début de la
révolution égyptienne le 25 janvier 2011).
Les prétextes concrets pour
intensifier les protestations dans tout le pays sont légion, mais au
fond il s’agit toujours de la même chose : de fortes foules
de gens qui, après des années d’exploitation et d’oppression,
sont debout et qui, enragés, n’acceptent plus le pouvoir. Et qui,
au contraire, agissent carrément pour bouleverser son
fonctionnement. Des gens descendent dans la rue avec l’esprit de
révolution dans leur cœur, des gens qui n’attendent plus que la
politique vienne apporter une quelconque solution, mais qui
identifient les responsables de leurs misères et les attaquent à
outrance.
Une grande partie de ce mouvement
refuse tout dialogue, tandis que l’État cherche à leurrer la
population à l’aide d’un discours « démocratique »
selon lequel on a le droit de manifester pacifiquement, mais, en
échange, tout acte violent sera durement réprimé. Un discours
vain, car personne n’avait demandé l’opinion de ces oppresseurs,
massacreurs et geôliers de centaines de révoltés. Tout continue
donc, même quand l’État déclare l’état de siège, comme dans
la région de Suez. Dans les têtes des gens, dans la rue, le
président Morsi et ses Frères Musulmans n’existent déjà plus.
Contre la dictature patriarcale
Lors des nombreux rassemblements,
manifestations et émeutes, autant que dans la vie quotidienne, se
livre aussi un autre combat pour la liberté : celui des femmes
et des hommes contre les violences sexuelles à l’égard des
femmes. Car si ces violences sont quotidiennes dans la rue, elles
deviennent aussi de plus en plus organisées lors des protestations.
Il peut ainsi s’agir d’intimidations orales, mais aussi
d’attouchements et de viols collectifs, que ce soit par des
salauds, que des chefs conservateurs envoient à cette fin, ou par
des machos pour qui les femmes ne sont de toute façon que des
sous-hommes et n’auraient pas leur place dans la rue.
Ces agressions, qui vont de pair avec
les tests de virginité humiliants que nombreuses manifestantes
arrêtées subissent dans les commissariats, servent à limiter la
participation des femmes à la révolution. Pour certains, tenants
des idées patriarcales en tête (qu’ils soient femmes ou hommes),
l’exaspération est à son comble lorsqu’ils constatent que des
femmes continuent à participer de manière visible à la révolution,
à élever leurs voix, à faire l’émeute, à se libérer de mille
et un interdits et limites.
Peut-être la plus grande
peur de ces amants du contrôle n’est-elle même pas l’effondrement
de l’État égyptien, mais bien la décomposition de la carcasse
familiale étouffante qui, pour les Frères Musulmans et la nouvelle
constitution qu’ils ont imposée, serait le fondement de la société
égyptienne – et qui, pour tout révolutionnaire, constitue l’un
des fondements de l’oppression à abattre.