Les zones industrielles du Bangladesh, où se trouvent notamment des centaines d’usines textiles produisant des vêtements pour les plus grandes marques et chaînes du monde, révèlent l’atrocité du système capitaliste mondial. Il y a quelques mois, une tragédie a coûté la vie à plus de 1127 ouvriers et ouvrières quand une usine, produisant notamment pour H&M et Carrefour, s’est effondrée. Mais cela ne saurait nous faire oublier que des morts, il y en a tous les jours. Des tabassages et des humiliations dans ces zones franches, il y en a tous les jours. L’exploitation de la force de travail se fait 24h sur 24 pour répondre aux besoins des marchés.
En 2006, le Bangladesh entier s’était embrasé dans une révolte probablement sans précédent : des ouvriers et ouvrières en grève ont incendié des centaines d’usines et de fabriques, détruisant ce qui les détruit au quotidien. La répression a été sanglante et ensuite, le business s’est remis en route pour accélérer la production. Et comme la recherche du profit ne connaît pas de limites, comme les réserves de force de travail semblent inépuisables, toutes ces industries s’investissent dans une course vers le bas en ce qui concerne les conditions de travail, avec les tragédies qui en découlent. Depuis, les flambées insurrectionnelles sont récurrentes au Bangladesh. Sans plus de médiations, les ouvriers et ouvrières passent à l’attaque. Pas pour transformer les usines. Par pour les rendre plus humaines. Pas pour dialoguer avec les contremaîtres ou les directions. Non. Ils attaquent pour brûler ces bagnes industriels. Ils attaquent pour éliminer physiquement les chiens de garde et les maîtres. Comme il y a une semaine, le 29 novembre 2013, quand à Gazipur, suite à l’énième mort d’un ouvrier dans l’une des plus grandes usines textiles du Bangladesh employant plus de 18 000 personnes, les ouvriers ont mis le feu aux bâtiments. Dix étages de l’usine où étaient produits les vêtements de Marc & Spencer, Zara, Gap… ravagés par le feu purificateur.
Mais ce n’est pas seulement au Bangladesh que la vie d’ouvriers est sacrifiée sur l’autel du profit. Dans le port d’Anvers, les « accidents » se succèdent. A peine y avait-t-il eu l’intoxication de dizaines d’ouvriers sur un site chimique, qu'une explosion accidentelle dans la raffinerie de Total a fait deux morts. Et cela, c’est sans compter les dizaines de « petites incidents de sécurité » par jour mutilant ou intoxicant des ouvriers. En Italie, début décembre, un incendie nocturne ravage une usine textile à Prato, causant au moins cinq morts. Les ouvriers et ouvrières dormaient en effet sur place, dans des dortoirs. Au Brésil, la chute d’une grue sur le chantier d’un futur stade de foot, en construction pour accueillir le Mondial du Foot (n’oublions pas les nombreuses émeutes et affrontements dans les rues là-bas contre ce spectacle qui entraîne un important renforcement sécuritaire), cause la mort de deux ouvriers.
Les ouvriers et les ouvrières du Bangladesh n’ont besoin de la pitié de personne. Mais ils nous lancent aussi un défi et un avertissement : entre celui qui exploite et cautionne l’exploitation capitaliste et celui qui est exploité et se révolte, il ne peut qu’y avoir le feu. Des rapports incroyables et atroces nous relient avec le monde entier, un monde qui produit et progresse en exploitant, en empoissonnant, en tuant. Les rapports capitalistes nous tachent tous, sans exception, avec le sang des exploités. Notre quotidien se remplit de choses, entre vêtements et I-phones, entre bijoux et nourriture, qui ont coûté des vies humaines, et en plus, elles remplissent les poches de quelques millions de riches sur une planète peuplée par plus de six milliards de personnes. Alors là, il ne s’agit pas seulement de l’exploitation de nos heures de travail, ni du fossé entre riches et pauvres, il s’agit de l’éradication de l’âme même de l’homme, devenu rude, cynique, abruti et aveugle. La question n’est donc pas de s’indigner un peu pour les pauvres Bangladais, ni de se contenter de ne pas acheter certaines marques en se leurrant comme quoi les produits capitalistes ne seraient pas toujours le résultat d’exploitation, ni de s’enliser dans le cynisme ambiant du « c’est comme ça » ou « ça ne me regarde pas ». La question, c’est de comprendre que si nous n’œuvrons pas à la destruction du capitalisme, la destruction de ses industries, de ses infrastructures, de ses entreprises, de ses chefs, nous collaborons à notre propre destruction.