Quelque chose qui dérange

Les gardiens et les directeurs de prison cloués au pilori

29 novembre 2013. C'est la dernière audience dans le procès de trois gardiens et de trois directeurs de prison. Ils doivent répondre aux accusations de coups et blessures, traitement dégradant et torture à l'encontre de Farid Bamouhammad, ce prisonnier qui ne s'incline pas devant l'horreur carcérale. Beaucoup de policiers présents sur la place devant le tribunal à Nivelles, et dedans, il y a des policiers postés dans chaque couloir et sur chaque étage. Car l'ordre doit être protégé, cet ordre social qui enferme et torture au nom de la Loi. A l'extérieur, des anarchistes et d'autres rebelles font un petit rassemblement. Une banderole « La prison est une torture. Luttons avec rage et passion pour la vraie liberté » est déployée, des tracts sont distribués aux passants. Quand la police interdit aux anarchistes l'accès au tribunal, des cris fusent: Matons bourreaux, Courage Farid, Brique par brique, mur par mur, détruisons toutes les prisons. La juge, le procureur et les avocats se fâchent, car on n'entend plus que l'écho de ceux qui se battent contre la prison. D'ailleurs, même en venant au tribunal, ils ont dû remarquer qu'une grande partie de Nivelles était recouverte de tags et de graffitis contre la prison. Espérons qu'ils ont senti un petit froid dans leur dos. Leur froid, c'est notre chaleur.

Pendant le procès, tout le monde a essayé de se décharger de sa responsabilité individuelle. Les gardiens (ou plutôt, leurs avocats) avouent qu'ils agissent peut-être de manière un peu brute (tabassages, entraves aux pieds et aux mains, jeter des prisonniers nus dans un cachot), mais que c'est la faute du système carcéral belge. Les directeurs (ou plutôt, leurs avocats) disent qu'ils ne peuvent pas tout contrôler, qu'ils reçoivent des directives et qu'ils les appliquent au mieux. La procureur insiste qu'il ne s'agit pas de faire le procès des prisons belges (elle a bien compris que c'est bien ça qui dérange!), suivant l'indignation à propos de ce procès que l'infâme Hans Meurisse, führer des prisons belges, a fait parvenir aux oreilles de la magistrature. Bien évidemment, personne n'est responsable, et celui qui dénonce les tabassages et l'horreur carcérale doit la boucler. En effet, le procureur a demandé l'acquittement des gardiens et 18 mois de prison à l'encontre de Farid pour insultes et menaces. Mais on l'a répété déjà maintes fois: l'injustice a un nom et une adresse.

Les basses manœuvres n'en sont pas restées là. Quelques jours avant le procès, Hans Meurisse décide qu'il faut appliquer à Farid le régime des entraves. A chaque fois qu'il sort de sa cellule (douche, téléphone, promenade, parloir), on lui met ces entraves. En plus, Farid a été pris par surprise par des gardiens dans le cachot et il a reçu des coups de poings sans pouvoir se défendre. A l'heure de l'écriture de cet article, Farid est en grève de la faim et de la soif afin de mettre un terme à cette situation insupportable. Soulignons encore que toujours plus de prisonniers récalcitrants subissent des régimes spéciaux, que ce soit dans les modules d’enfer à Bruges ou à Lantin, dans les sections de sécurité renforcée comme à Ittre et Saint-Gilles. En plus, on assiste à la « nouvelle » politique de régimes individualisés afin de briser la résistance (isolement, supprimer les visites, entraves, vexations).

Ce procès et toute cette situation laissent effectivement voir que le monde pénitentiaire ne supporte pas la moindre critique. Des tabassages, il y en a tous les jours. Des mises en isolement, il y en a tous les jours. Des humiliations, c'est le quotidien dans les prisons. Et la privation de liberté, la pire torture qu'on peut infliger à un être humain, est l'essence même de la prison. Mais nous n'avons pas peur de lutter, nous sommes fiers de lutter côte à côte avec Farid et les autres prisonniers qui se révoltent. Et que l'administration sache que rien ne restera sans réponse, que la lutte saura mettre des bâtons dans les roues de la machine carcérale.

Un extrait du tract distribué à Nivelles:
« Vous avez la réalité en face de vous, n’avez-vous pas honte ? » jetait Farid à la gueule des fonctionnaires pénitentiaires lors de l’audience précédente. C’est bien là le sens de ce rassemblement et la raison de notre solidarité. Bas les masques, disons-nous, bas les masques des tortionnaires qui se cachent derrière leurs uniformes et leurs syndicats de gardiens, bas les masques des directeurs qui cautionnent ou organisent le terrorisme des gardiens à l’encontre des prisonniers, bas les masques des juges qui s’indignent par rapport aux situations dans les prisons ailleurs dans le monde, mais se feignent aveugles pour ce qui se passe sous leurs yeux. Bas les masques de tous ceux qui ne cessent de répéter le vieil adage des serviteurs de l’autorité : « Je n’ai que suivi des ordres. ». Et enfin, bas les masques de tous ceux qui collaborent volontairement au quotidien avec le système d’oppression et d’exploitation et disent aujourd’hui « Je ne savais pas… »