Il était une fois... Les Barons

Pendant des semaines, c’était lisible sur tous les trams et bus : tu iras voir le film « Les Barons » parce que même la STIB le trouve bien. Apparemment, c’était un de ces films que tu ne peux pas rater, dont il faut parler pendant des heures, et qui pourrait même provoquer des vraies dis­cussions…

Eh alors ? Rien. On aurait pu tout aussi bien aller voir un film de promotion du service de la prévention. Le film es­saye de faire rire, mais ne professe en réalité qu’un seul message : peu importe qui tu es, peu importe d’où tu es ou d’où tu viens, nous sommes tous une grande famille heu­reuse… il faut juste faire des efforts.

Tous une grande famille ? La réalité est bien différente à Molenbeek. A chaque coin de rue, les flics te regardent par derrière. Et si tu les rencontres, il faut mieux baisser les yeux, car sinon tu es en train de les « provoquer »… Bon, c’est vrai, dans Les Barons, il n’y a pas de flics. Dans Les Barons, il n’y a même personne qui ne se batte. A aucun moment. Ni contre les flics, ni contre ces bureaucrates en­nuyeux de l’ONEM, contre rien ni contre personne. Tout le monde est heureux dans le film.

Tout le monde est heureux ? C’est facile dans Les Barons, puisque la pauvreté n’existe pas, qu’il n’y a pas de proprié­taires qui t’extorquent chaque mois des centaines d’euros et qu’il n’y a pas d’huissiers qui écument les rues. Molenbeek est pourtant, au même titre qu’Anderlecht, Saint-Josse, Fo­rest et d’autres quartiers, un de ces bacs collecteur de pau­vres entassés sur quelques kilomètres carrés.
Il faut juste faire des efforts ? C’est l’histoire classique de l’intégration… en oubliant volontairement que ce sys­tème a sa marge d’enfants indésirables, qu’il décharge ou utilise à son gré. Et aucun « il faut juste faire des efforts » n’y changera quoi que ce soit. Les fables sur l’intégration dans une société basée justement sur la division entre riches et pauvres, entre intégrés et déchets, sont une fois de plus promues dans ce film.

Monsieur le régisseur, qui connaît évidemment tout de Molenbeek car c’est un spécialiste en la matière, est-ce que l’argent rentre bien ? Est-ce qu’on t’a bien payé pour ce film de promotion ? Pendant que les salles se remplissent de gens qui ont payé dix euros pour être plongé dans un éloge de la paix sociale au milieu de toute cette misère et de cette rage (soyez tranquille, on ne les voit pas à l’écran), nous continuons à nous battre. Comme on l’a toujours fait, ne fût-ce que pour garder la tête haute. Garde tes fables pour toi !

PS : Monsieur STIB, je voudrai vous déconseiller par avance de procéder à une opération identique en faisant composer un quelconque groupe de hip-hop d’Anderlecht sur votre splendide entreprise, sur vos couloirs blindés de caméras et sur vos aimables contrôleurs. Si vous passiez un tel morceau autant de fois que votre « attention, il y a des pickpockets dans la gare », vous vous exposeriez à nettoyer bien des dégueulis sur vos quais.