MOBIB-bip-bip-boum

Construit avec la sueur et la peine d’immigrés dans les catacombes d’une ville monstrueuse, là où la lumière du jour ne pénètre pas, se trouve le territoire de… el STIB.

« La STIB, voilà une entreprise noble » chante radieusement son club de fans en chœur, « elle t’emmène là où tu doit être. » Ses métros et ses trams te transportent à travers tout Bruxelles. Bruxelles, ville de verre luminescent, de béton, d’argent et de pauvreté. Ville de parlementaires européens et de diplomates, de sans-papiers et de sans-abris, de lofts luxueux et d'une Gare du Nord pour les pauvres. La STIB relie les différents coins de cette ville, fonce des temples du business vers les quartiers débordants de pauvreté. La STIB t’emmène là où tu dois être, n'est-ce donc pas ça la liberté de circulation, même si les frontières s'érigent clairement un peu partout dans la ville ? Surtout qu'avec son MOBIB, cette chère STIB en rajoute même une couche : dès du premier juin, des portiques vitrés entreront en fonction. Et à partir de là, seul celui qui a de l’argent entrera.
Liberté de circulation ? Là où se diffusent en surface les yeux des caméras, la STIB s’en charge aussi en souterrain, pour que la circulation de la ville continue d'être contrôlée. Les déplacements des clients MOBIB sont convenablement enregistrés et mémorisés dans leurs ordinateurs. Les équipes de prévention se multiplient à un rythme hallucinant, chiens de garde irritants qui guettent tout mouvement dans le tram ou le métro, à défaut d'avoir leur propre vie. Caméras dans les rames, caméras souterraines, la liberté semble très lointaine.
Liberté de circulation, hopla ! De la maison au boulot, au maison-boulot-maison-boulot, entassés comme des sardines. « Veuillez vous éloigner de la porte, gelieve u bij de deuren te verwijderen, », presque tout le monde est malheureux, et pourtant tout reste imperturbable.
Liberté de circulation, et voilà déjà un commando de contrôleurs sur les quais ; les fraudeurs sont verbalisés, les personnes recherchées livrées à la police, et les sans-papiers pareil. La STIB t’emmène partout, au-delà même de toute frontière, jusqu’au Maroc ou en Afghanistan.
Et tout continue. C'est chaque nouveau jour le même trajet misérablement triste. La Brouckère-Bourse-Beueueurs-Anneesens-Lemonnier. En sortant, vite fermer les yeux sur les gens qui dorment dans les couloirs, prendre l’escalier roulant et, surprise !, le soleil est déjà couché. Une consolation tout de même, on se retrouve au moins enfin à l’air libre, et là où on devait être.

Et tout continue, continue, continue, jusqu’à ce que… MOBIB-bip-bip-hourra ! Aujourd’hui, on pouvait lire dans les journaux que les portiques MOBIB de différentes stations de métro ont été saccagés à plusieurs reprises. Voilà de petits gestes, voilà autre chose que huit heures de travail alimentant le compte de ton gras patron. Voilà de petits gestes, et avec quelle imagination ! Il y en a qui disent que ces actes de destruction ne sont rien d’autre que l’expression de frustrations. Braves citoyens choqués qu’il existe de méchantes personnes qui, avec les notes de MOBIB-bip-bip, ont composé leur propre chanson : MOBIB-bip-bip-boum ! Et nous, nous disons encore et encore, saccage ! Rompre avec ce monde, rompre ce monde. Quelque chose de différent est possible, on peut briser le cycle de ce laminoir d’ennui, de dépression, d’étouffement, de faim et d'absence de perspective.

Vandales, profiteurs (du « frauder est injuste pour ceux qui payent » à « cette carte MOBIB est quand même pratique, elle rentre dans ton portefeuille, » cool-MOBIB, jusqu'à « ils feraient mieux d’aller bosser ou d'être à l’école, plutôt que de traîner dans les métros. ») ! Voilà comment sonne l'éternelle complainte des esclaves volontaires. Heil à la STIB et à Bruxelles, ma ville.
Aujourd’hui pourtant, ces funestes histoires ne peuvent pas nous atteindre. Aujourd’hui, la nouvelle annoncée dans les journaux résonne comme un chant de joie dans nos têtes. Saccage des portiques MOBIB : quelle fête ! Aujourd’hui pourtant, les visages malheureux du métro ne nous saisiront pas, car nous avons entrevu comme la lueur de quelque chose de différent, quelque chose qui rompt avec l’éternel esclavage et l’oppression. Et dans notre cœur brille à nouveau ce rêve, ce rêve d'un monde sans patrons, sans frontières, sans territoires ni argent. Ce monde dans lequel nous n’irons pas où nous devons aller (boulot-famille-école-église-institution psychiatrique-prison-camp de déportation), mais là où nous voulons être.

Et pour finir, encore une, encore une fois : "ses distributeurs sont partout" ! Et tous ensemble maintenant : "MOBIB-bip-bip-BOUM" !