Vivre

Une poignée de pieux étudiants appelle le dimanche 28 mars à une marche à travers quelques rues de Bruxelles. Le mot d'ordre : prier en silence contre l'avortement. Pas de quoi en perdre le sommeil, pourrait-on penser. L'image de quelques pitoyables piétés renvoie surtout à une autre ère ; par contre, les idées qui se cachent derrière les initiatives de benêts estudiantins, crânes tondus ou mères de famille orgueilleuses, sont bel et bien présentes et répandues. La marche est soutenue par des professeurs d'université, le parti CDF (Chrétiens Démocrates Fédérales) quoique peu significatif, un imam et une grande partie des évêques – où l'archevêque Léonard, connu pour ses discours homophobes et sexistes, ne pouvait certainement pas être absent. Quelques organisations appellent également à la marche ; "chemin de la vie", "souffle de vie", "cri pour la vie", tous prétendent tenir particulièrement à la vie. Vivre. Comme en pincer pour quelqu'un sans penser à se marier ? Non. En pincer pour quelqu'un avec le même nombre de seins ou de zizis que toi ? Non, pas ça. Le sexe qui te fait jouir de pieds en cap, sans vouloir d'enfants ? Non, certainement pas. Prendre soin de toi, et t'en donner les possibilités, faire des choix ? Non, on ne peut pas. Et c'est de cela qu'il s'agit.

Vivre, pour eux, c'est s'abaisser soi-même et abaisser les autres. Annihiler, étouffer toute expression d'une volonté de vivre sous couvert d'expiation des péchés de la chair. Et attendre, attendre éternellement un quelconque paradis, très loin d'ici. Un paradis qu'ils pensent trouver quand ils seront morts et enterrés.

C'est parce que des femmes ont lutté dans les années 70 de différentes manières, sur plusieurs fronts, pour se libérer de l'emprise des paternalistes, patriarches et médecins sur leur vie, que nous avons la possibilité aujourd'hui d'arrêter une grossesse non-désirée. Mais seulement dans les délais fixés par la loi, qui diffèrent arbitrairement de pays en pays. En Belgique, c'est jusqu'à 14 semaines. Et uniquement dans certaines villes, où c'est plus facile de trouver un médecin qui ne t'étouffe pas de sermons moralistes pour te dissuader coûte que coûte. Nous avons plus de possibilités aujourd'hui, c'est juste. Mais le rêve qui a alimenté les luttes de tant de femmes d'alors et d'aujourd'hui reste à conquérir. Prendre sa vie en main. Décider soi-même de comment, avec qui et quand on fait l'amour. La connaissance et l'emprise sur son propre corps. Nous ne voulons pas déconnecter l'avortement d'une émancipation sexuelle plus large. Beaucoup de filles subissent un avortement parce la prise religieuse ou paternaliste sur leurs vies leur interdit de parler librement du sexe, de s'informer sur les moyens de contraception et de les utiliser, d'expérimenter. C'est là que commence l'oppression. Contre le pouvoir des prêtres, des médecins, des psychiatres, en blouses de différentes couleurs et convictions, contre eux tous nous luttons.


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À Bruxelles, tu peux avorter dans une vingtaine de centres de Planning Familial. Bien qu'ils aient pris forme dans l'élan de la lutte des années 70, on en retrouve très peu dans les institutions actuelles. Ça et là, tu pourras encore trouver quelque fossile féministe. Pour celles qui ont des papiers, c'est pas cher (3 euros avec le remboursement par la mutuelle) et tu peux y trouver un gynéco ou un médecin comme un assistant juridique ou social. Comme en France, l'État voudrait fermer ces centres à terme et les remplacer par les centres d'avortement. En Flandre, c'est déjà le cas. Pour avorter, t'as recours à quelques hôpitaux ou bien les centres d'avortement. T'y trouves des spécialistes stériles et “efficaces”, t'es venue pour une chose et t'as hâte d'en sortir.