“Attention, ne pas confondre le rôle de la personne avec la personne elle-même”, déclara le porte-parole de la Fédération des Entreprises de Belgique. La plus grande bande de capitalistes de ce pays. C'est sa réponse au fait que, surtout en France mais aussi ici, des travailleurs et des employés prennent les patrons temporairement en otage pour les forcer à faire certaines concessions.
Cette remarque, banale à première vue, partagée par pas mal de gens, soulève pourtant quelques interrogations. Même, elle nous mène droit au noyau de la question sociale, à la raison pour laquelle ce monde est divisé entre des personnes qui possèdent une piscine et un sauna dans leur arrière-cour et d'autres qui ne peuvent même plus payer leurs factures d'électricité à la fin du mois; entre des personnes qui mangent un repas sain et de goût chaque soir et d'autres qui remplissent leur caddies de légumes congelés et d'abats de chez Aldi et Lidl; entre des personnes qui donnent des ordres et d'autres qui les subissent.
Il est vrai que derrière cette division, se cachent certaines idées qui sont partagées aussi bien par les exploiteurs que par les exploités : C'est normal que l'un possède beaucoup et l'autre moins, que l'un soit appelé à commander et que l'autre doive se résigner à son destin d'esclave. Il est vrai que les puissants n'imposent pas seulement leur régime par la contrainte et la violence, qu'il est aussi bien basé sur le consentement de leurs sujets. En d'autres mots, c'est parce que les pauvres continuent d'accepter d'être pauvres, que les riches continuent de construire leurs palais. Et c'est pour cela que de nombreuses personnes qui voudraient bien se battre pour un autre monde, ne font qu'attendre, se résignent – en espérant qu'un jour, les gens deviendront un peu plus intelligents.
Et quoique tout ceci soit vrai, la conclusion ne l'est pas. Parce que ce n'est pas vrai que l'exploitation n'est qu'un mécanisme; que riche et pauvre sont des rapports sociaux abstraits que personne ne peut changer; que l'autorité est en chacun de nous. Les idées, la logique, les mécanismes, les rapports, tout ce qui est la base de ce monde, resteraient des pensées vides si elles ne se concrétisaient pas dans des structures et des hommes. L'autorité ne serait qu'une vague pensée si elle ne se figeait pas dans certaines structures, personnes, bâtiments. Tu peux crier aussi fort que tu veux contre un bâtiment, ses murs ne s'effondreront pas. Tu peux essayer de convaincre les détenteurs de pouvoir tant que tu veux, ils ne te comprendront même pas. Tu peux tant que tu veux penser qu'un flic est avant tout un humain, il te mettra quand même au cachot.
C'est pour cette raison que l'attaque directe est nécessaire. Pas seulement par les idées, mais dans la pratique également. Pas seulement en osant rêver d'un autre monde, de liberté et de solidarité, mais aussi en frappant fort contre les structures et les personnes qui étouffent ces rêves.
Pour revenir à la bande des capitalistes...Non, nous n'assimilons pas la personne à la fonction qu'elle exerce, au rôle qu'elle joue; un humain est plus que ça. Ce n'est pas parce que je note ces mots que, soudainement, je ne suis qu'un écrivain. Mais cela n'empêche pas que c'est moi, avec tout ce que je suis, qui a bel et bien mis ces mots sur papier. Pas quelqu'un d'autre, mais moi. Et un patron qui, d'une seule signature, met en danger la vie de centaines de personnes et empoche lui-même des millions en prime, est en effet aussi une personne (et peut être, même si je peux difficilement l'imaginer, une personne agréable avec qui boire un verre). Mais ça n'empêche pas que c'est lui, et pas quelque chose ou quelqu'un d'autre, qui a posé sa signature. Et donc...