Quelques cracks l’ont calculé pour nous. L’année dernière, 161.844 jours de grève en Belgique. Proportionnellement, par mille habitants, c’est plus que dans les pays voisins. Même dans les pays où, comme en Belgique, beaucoup de gens sont syndiqués, les chiffres sont plus bas. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Que nous sommes plus combatifs ? Que nous l’emportons sur les patrons? Que les patrons ont moins prise sur nos vies et que nous pouvons décider nous-mêmes que faire de notre temps ? Qu’ils n’auraient pas réussi à faire payer la crise économique d’abord aux plus pauvres ? Qu’ils nous ont moins eus que dans les autres pays ?
Franchement, la situation en Belgique ne diffère guère de celle des autres pays européens. Les mesures d’austérité sont imposées, des travailleurs sont licenciés en masse, la chasse aux chômeurs s’intensifie. Et les grèves ? Ce sont les syndicats qui les décrètent quand la pression devient trop forte sur les « lieux de travail » ou quand une petite démonstration de force (rassembler le troupeau pour mieux compter les têtes) sert à obtenir une meilleure position à la table des négociations. Les grèves semblent plutôt être des actions symboliques avec le folklore de service (le tonneau enflammé, les vestes rouges et verts, des saucissons, bière et café). L’avantage c’est certainement qu’il s’agit là d’un jour libre, mais pour cela une attestation du médecin aurait suffi. N’est-ce pas un mauvais signe que les grévistes les plus enthousiastes soient justement les gardiens de prison ? Alors dans leur cas et pour leurs raisons, la grève semble être quand-même une arme très puissante quand il s’agit de négocier sur le dos d’êtres humains (les prisonniers), en les mettant dans une situation complètement misérable (suppression des visites, de l’air frais et des activités). Mais la grève est surtout efficace quand les revendications se limitent à plus de sécurité pour les braves citoyens et plus de répression pour les désobéissants. Ces revendications résonnent comme une douce musique aux oreilles de l’Etat. En effet, ne coïncident-elles pas avec son propre programme politique ? Et qu’ aurions-nous en commun avec les grévistes de l’usine d’armes de FN Herstal qui ne semblent pas trop se soucier de fabriquer des instruments de la mort. Ou avec les transporteurs de fonds de Brink’s, qui protègent de jour en jour l’argent des riches et sont là pour empêcher aux autres de s’emparer d’une partie du butin social ?
Non, faire la grève est un instrument qui ne contient que très peu de combatif. C’est une interruption temporaire du travail qui acquiert son pouvoir dans la promesse du retour au travail. Une action quand le délégué veut exercer un peu de pression et ensuite de nouveau fermer sa gueule pour ne pas pousser les négociations à outrance. Pour obtenir le compromis du compromis. Une décoction sans goût, mais le seul résultat réaliste, comme on nous le dit. Et en plus, un résultat qui devient toujours plus maigre. Voulons-nous vraiment seulement parler de rendre un peu plus supportables les conditions de travail ou de l’augmentation de la prime de licenciement ? Voulons-nous vraiment continuer à produire de la merde,
à sacrifier nos vies au travail ? Voulons-nous vraiment des
grèves qui se limitent à un jour, à un mois, à un an ?