À la guerre comme à la guerre

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Les démocrates envoient leur artillerie

Le 20 mars 2011, les premiers missiles et bombes de l'alliance internationale tombent sur la Libye. Les blessés civils sont amenés à l'hôpital, il y a des morts. Le ministre de la guerre De Crem nous prévient à la télé qu'il y aura des images pas très belles, il préfère qu'on ne regarde pas.
Cela leur a pris un peu de temps, aux grands pouvoirs occidentaux, mais là, ils se sont tous mis d'accord. Le dictateur Kadhafi est l'ennemi, il faut le chasser à coup de bombes. Il y a quelques mois encore, ils étaient encore ses meilleurs amis, comme avec les autres dictateurs du Maghreb. Ils se faisaient payer à leur compte leurs vacances de luxe dans des villégiatures exotiques avec des stars pour les divertir, et de grands accords étaient conclus. Et c'est bien là que ça coince maintenant.
Faut dire ce qui est, Kadhafi ne leur est plus utile. Soit il est jeté hors du pouvoir par les insurgés (c’est peu probable à ce point), soit il regagne le contrôle en massacrant une partie de la population, après quoi les leaders occidentaux auront plus de mal à continuer à lui serrer la main. Quoi qu'il en soit, le dictateur ne leur sert plus. Comble de l'hypocrisie : à Bahreïn par exemple, les manifestants se font massacrer par la police et l'armée saoudienne, mais là, ces mêmes leaders oublient vite fait leur rôle héroïque de gardiens des droits humains.

En Libye, ils seraient tous unis pour venir au secours d’émeutiers qui combattent le mal incarné ? Qui les croit encore? Ce n'est évidemment pas pour cela qu'ils sont partis en guerre. D’ailleurs, ils ne font même pas fait tellement d'efforts pour masquer leurs vraies intentions. Arrêter les flux migratoires vers l'Occident, préserver le pétrole et éviter que les terroristes musulmans ne s’emparent des armes. Rien de bien nouveau sous le ciel, mais cette fois-ci sans Kadhafi, faut préparer un nouveau terrain.
Arrêter les immigrés préventivement. Cela fait des années que des milliers de personnes tentent de passer la Méditerranée pour rejoindre l'Europe en passant par l'île de Lampedusa. Des accords avaient été conclus entre le gouvernement libyen et les gouvernements européens pour y mettre fin. Ceux qui essaient de partir se font torturer par les forces armées et les patrouilles maritimes (la Libye et l'Italie main dans la main), avant de croupir dans les trois camps (mille places) construits dans le nord de la Libye. Depuis les débuts de l'insurrection, comme dans les pays émeutiers alentours, les gens ont saisi leur chance pour quitter le pays. Maintenant, ce sont aussi bien les balles du pouvoir libyen que les bombes du pouvoir occidental qu'ils fuient. Dans les prisons italiennes pour étrangers, une lutte est en cours depuis plus longtemps. Les camps brûlent, des personnes arrivent à s'évader.
Mettre le pétrole dans leur propre poche. L'occident voudrait bien continuer à piller les réserves de pétrole et de gaz en Libye, comme il a toujours pillé les terres des autres, peu importe s'il faut coloniser ou signer des accords commerciaux pour cela.
Empêcher que les méchants musulmans ne prennent les armes. Vieux son de cloche encore. Des armes que les pouvoirs occidentaux ont, par ailleurs, fournies à Kadhafi, et dont une partie vient du petit village belge d’Herstal. Le fric sent bon, peu importe ce qu’on fournit et à qui. Bien évidemment, nous sommes opposés aux personnes qui en massacrent d'autres, aussi bien quand cela se fait au nom de dieux, du capital ou de la démocratie. Seulement, qui sont ces terroristes ? Pour Kadhafi, tous les insurgés sont des membres d’Al Qaïda. Pour l'Occident, tous ceux qui prennent les armes contre eux sont également des terroristes. Pour eux, c'est simple, tous sont des terroristes qu’il faut éradiquer au nom de la paix mondiale.

Avec cette voie qui est tracée, la révolution est volée des mains des Libyens. Maintenant que les chasseurs à réaction volent en rase-mottes au-dessus des villages et villes, la résistance se transforme en armée de terre régulière. Les shabaab (jeunes) doivent être embrigadés et disciplinés. Et ils doivent écouter les officiers qui, à peine une semaine plus tôt, exécutaient les ordres de Kadhafi. Ainsi, le soulèvement populaire ressemble plus à une armée de conquête. Les alliés occidentaux ne demandent pas mieux qu'une armée et un gouvernement « mène » la révolution. Ils veulent, le plus vite possible, un régime stable au pouvoir, pour rétablir le cours normal des choses. Ils veulent à tout prix éviter un scénario comme en Égypte ou en Tunisie, où les confrontations perdurent. Car en Libye aussi, beaucoup de personnes ne seront pas satisfaites des vieux leaders en nouveaux habits, pas plus que des nouveaux leaders en vieux uniformes. Mais qui irait se rebeller contre la nouvelle armée qui les a « libérés »? Et contre les boss de l'OTAN qui ne travaillent certainement pas gratuitement.

La guerre c'est la paix, voilà une escroquerie vieille comme le monde. Une chose est sûre : les insurgés libyens ont besoin de solidarité internationaliste s'ils ne veulent pas être battus à plat de couture par le pouvoir. Soit par la répression féroce, soit par la main douce de la démocratie.