Brièvement, mais sérieusement sincère, je voudrais partager quelques réflexions avec vous par rapport au syndicat. Certains trouveront peut-être le moment inopportun pour les critiquer. Juste au moment où nous avons une journée de grève pas mal suivie derrière nous, une journée avec quelques beaux gestes dont la grande partie a été organisée, ou au moins soutenue, justement par le syndicat. Maintenant, et justement pour cela, je ne peux pas m’imaginer de meilleur moment. Si on va se battre, mieux vaut savoir comment et pourquoi chacun se lance dans la lutte. Ne serait-ce que pour éviter d’être enrégimenté dans une quelconque armée ou de se laisser limiter dans le choix des armes par des commandants autoproclamés.
Je suis un homme épris de liberté, je suis donc contre le syndicat. Je ne peux pas faire autrement ! Je tends vers une liberté la plus étendue possible, et je veux me donner tous les instruments qui me semblent adéquats pour aller dans cette direction. Sur les deux plans (donc, au niveau du but et des moyens), le syndicat croise mon chemin. Pas en tant que compagnon de route, mais plutôt sous forme d’obstacle. Je suis retenu et sommé de ne pas courir librement, et de suivre les sentiers tracés par le syndicat…
Commençons par le début. Dans son essence, le syndicat est un interlocuteur autour de la table économique. Il peut bien se fâcher de temps en temps, sa tâche sera toujours d’ouvrir le dialogue et d’arriver aux compromis. Le syndicat ne veut rien d’autre que trouver des solutions acceptables pour tous les interlocuteurs, pour toutes les parties prenantes. Et au nom des travailleurs, le syndicat s’assoit autour de la table et ne la renverse pas ; un geste qui élèverait une barricade claire et nette entre lui et les patrons. Non, le syndicat embrasse une position de négociation, et de là, les revendications possibles sont évidemment limitées. Il s’agira toujours de conditions « supportables » pour les ouvriers à l’intérieur de l’économie ; jamais le syndicat ne remettra en question l’économie en soi, jamais il ne se retournera contre la logique qu’il y a derrière l’état actuel des choses.
Le syndicat a également cette tendance irritante à canaliser toute forme de rage sur le lieu de travail. Partout règne l’idée que si on est pris par un certain mécontentement, il faudrait adhérer au syndicat pour pouvoir en faire quelque chose. Ensuite, le syndicat déterminera évidemment la protestation, le comment il faut agir. La plupart du temps, le choix est alors entre la bonne vieille grève, le piquet ou la manifestation. Et ceux-là, uniquement au moment où le syndicat les estime opportuns. Franchement, une journée d’action nationale comme le 4 mars… Je pense que des choses intéressantes ont été faites, mais il faut bien admettre qu’une telle journée a été pensée pour ne pas encourager plus de protestations que souhaitées. Qu’un certain conflit n’ait appelé à l’action qu’une journée bien précise, c’est déjà une énorme limite. Mais qu’en plus, cette journée tombe un vendredi, c’est vraiment ennuyant. Ennuyant, mais compréhensible… si on suit la logique du syndicat. Le samedi, beaucoup de gens ne doivent pas aller bosser, et la possibilité est alors moins grande pour que le rythme économique soit davantage perturbé. Si une telle journée avait lieu un lundi, la possibilité serait majeure pour que la faim inassouvie d’une partie des travailleurs en colère continue à provoquer des désagréments tout au long de la semaine. Une seule journée, qui plus est un vendredi, voilà bien une décision prise pour ne pas brûler les ponts autour de la table de négociations, cela va de soi.
Le syndicat cherche à nous rogner les ailes, et c’est une partie de sa fonction (c’est-à-dire, favoriser des compromis avec le patronat). Il cherche à arracher les idées et les énergies de nos mains en espérant qu’on oubliera, qu’on finira par ne savoir parler que son langage. Et je n’ai vraiment pas envie de finir comme ça !