Grondements et grèves contre le nouvel accord interprofessionnel
Certains l’ont peut-être complètement ignoré, d’autres ont été forcés de le constater de près. Quoi qu’il en soit, le 4 mars avait été annoncé avec un grand roulement de tambours. Une journée d’action nationale contre le nouvel accord interprofessionnel. Du côté des organisations de patrons et d'employeurs, on protestait d'avance ; quant au gouvernement des affaires courantes, il a précisé que l’accord actuel serait de toute façon maintenu envers et contre tout.
Dans certaines parties du pays, ça a été une journée assez active. En des dizaines d’endroits, des piquets de grève ont bloqué les accès aux zonings industriels, aux sièges de banques et aux entrées d’autoroutes ; les ouvriers et les travailleurs de nombreux supermarchés et entreprises ne sont pas allés bosser ; plusieurs « secteurs clés », comme la sidérurgie, étaient totalement à l’arrêt. Il y en avait aussi qui avaient bien réfléchi, et qui sont par exemple allés bloquer les centrales à béton pour paralyser les chantiers. Entre-temps, la situation s'est aussi un peu tendue à Liège, où des grévistes masqués ont saccagé le siège du Forem (équivalent de l’Actiris bruxellois), et des bureaux dans la Tour des Finances.
Et pourquoi ? Pendant que partout en Europe et aussi en Belgique, les mesures d’austérité s’enchaînent, que les conditions de travail deviennent plus dures, que la flexibilisation est poussée toujours plus loin, les syndicats socialistes et libéraux ont appelé à réagir contre le nouveau accord interprofessionnel. Un tel accord par rapport aux salaires, allocations et bénéfices sociaux est conclu tous les deux ans entre les patrons et les syndicats, sous l’œil bienveillant de l’Etat. Le but principal de cet accord est d'encadrer strictement les éventuels conflits sur les lieux de travail, et par avance. En signant l’accord interprofessionnel, les syndicats s’engagent à respecter ses clauses, et à limiter leurs revendications aux termes inclus dans l’accord.
A ceux qui y étaient
Soyons honnêtes : ce nouveau AIP n’a rien de fondamentalement important. Peut-être les syndicats ont-ils trouvé un exutoire pour évacuer le mécontentement grandissant à la base ; peut-être le conflit autour de cet AIP n’est-il pour beaucoup qu’une occasion, un prétexte pour exprimer son mécontentement.
En ce qui nous concerne : on s’en fiche complètement de ce nouvel accord, et nous ne sommes pas non plus pour un accord « parachevé ». On s’en fiche, mais pas parce qu’on s'en taperait du durcissement des conditions de travail, de la pression au boulot, du fossé entre les pauvres et les riches, mais parce que nous considérons toutes ces choses comme des conséquences du problème fondamental : l’économie capitaliste.
Nous ne voulons contribuer en aucune manière à ce que cette économie tourne de manière plus aisée, au contraire. La machinerie de l’économie nous bouffe, rend nos vies pauvres et vides. Nourrir cette machine avec nos énergies : il n’y a que ceux d’en haut qui en profitent.
Nous sommes certains que parmi ceux qui étaient là le 4 mars, il y en avait aussi qui ne veulent pas suivre aveuglément les hiérarchies syndicales. Qui ne veulent pas être un troupeau, se laisser mener par les bergers des « organisations de travailleurs » qui n’aspirent pas à autre chose qu’à conclure des accords avec le patronat sans jamais remettre réellement en question le système économique actuel et les rapports sociaux.
Ceux qui veulent lutter contre le capitalisme, pas pour l'adoucir un peu, mais pour le détruire, doivent urgemment prendre leurs distances avec les syndicats. Pas de leurs camarades de combat bien sûr, mais surtout de l’institution qu’est le syndicat, de la mentalité grégaire qu’il favorise, des limites qu’il impose à l’action.
Car la lutte contre le capitalisme n’a pas seulement besoin de grèves et de blocages. L’économie doit être paralysée, et de force. Elle doit être endommagée par le sabotage de ses infrastructures, de ses usines, de ses réseaux électriques, de ses bureaux. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut conquérir l’espace pour réfléchir sur un monde réellement autre, un monde où l’argent ne règne plus. Les armées du travail qui obéissent et se courbent maintenant sur ordre des patrons, doivent réapprendre à désobéir et à oser l’insoumission face à la machine de guerre de l’économie.
A ceux qui n’y étaient pas
Certains cœurs rebelles se sont peut-être demandés si, pour eux, il y avait quelque chose à chercher chez tous ces sacs-poubelles rouges ; si ils devraient même agir tout court quand un syndicat est à l’origine d’un appel à l’action (et que, justement, le combat contre l’exploitation est quotidien et doit l’être !). Malgré tout, nous pensons qu’il est nécessaire de jeter des ponts pour lier les différents conflits qui perturbent le cauchemar étatique de la paix sociale brisée entre riches et pauvres, entre gouvernants et gouvernés. Les lier dans un élan de révolte. Des émeutes dans les quartiers aux mutineries dans les prisons et les centres fermés ; des grèves sauvages dans les usines aux blocages et sabotages auto-organisés et autonomes de la machinerie économique et du monde marchand.
Il est juste de ne courir derrière aucun drapeau, de ne hurler avec aucun troupeau, de ne rien se laisser dicter par aucune instance, même quand elle prétend, comme le syndicat, défendre « nos » intérêts. Cela va de pair avec le défi de donner soi-même forme à la lutte, de tisser des liens hors de tout appareil politique ou syndical, entre ceux qui ne veulent plus crever à la tâche, qui ne veulent plus être empoisonnés par l’économie cancérigène, qui ne veulent plus se faire sucer le sang par les patrons.