Allez, allez, à la rencontre de l’avenir!
Comme des oiseaux laids gigantesques, les grues dominent la ville, la regardent d’en haut en pivotant lentement autour de leur axe. Je ne sais combien elles sont. Je ne les ai pas comptées, vu que leur nombre change de toute façon chaque jour. Généralement avec une propention vers le haut. Et là où ces grues se trouvent, des choses poussent du sol. Encore plus grandes et plus monstrueuses que les grues elles-mêmes, accentuées des mois durant par des cris de contractions. Parfois tellement profonds et grondants que le petit appartement où j’habite, commence à trembler ; ensuite tellement hauts et stridents que les nerfs de tout être dans les environs sont excités à un tel point de parfois céder. Et tout le monde qui tient ses yeux et ses oreilles un peu ouverts pour ce genre de choses, sait d’avance que de tels cris ne peuvent être autre chose que le présage d’une fausse couche. Et jusqu’aujourd’hui, ils ont toujours eu raison. Mais les commandants, ceux qui de derrière leur bureau font en sorte qu’avec chaque cri et chaque amas de béton finalement chié, le fric s’accumule dans leurs poches, eux ils parlent de la réalisation d’un masterplan, d’un pas vers l’avenir, bâfré d’espoir et d’ambition. Peu importe dont il s’agit, des bureaux pour la ville, des parkings-centres commerciaux-complexes avec un ascenseur vers le parc, une voie ferrée ou une prison ; il s’agit de quelque chose de nouveau, du progrès, d’évolution, certes en route vers un monde plus parfait. Au moins, c’est ce qu’on veut nous faire croire. Et alors ici à Louvain, ils s’en sont pris à la louvainaise. Bon, ont-ils dû se dire, si on veut mettre un tiers de la ville par-dessous-dessus, alors peut-être donner aux habitants quand même aussi le sentiment que c’est aussi un peu pour eux qu’on fait tout ça ici, non ? Et avec la ruse d’un vieux socialiste qui connaît son peuple et l’innovation d’une poignée de nouveaux riches, on a « invité les riverains et les intéressés à réfléchir ensemble sur l’aménagement du futur espace publique du Vaartkom ». Une invitation pour faire partie du changement. Qu’il s’agisse pour lieu de ce futur bijou d’une ancienne zone industrielle presque inhabitée a dû bien les arranger. Qui va faire beaucoup de bruit s’il s’agit d’en finir avec un vilain petit canard ? Et même si on parlait à cette rencontre surtout du nombre d’arbres à planter, et de barbecues accessibles pour tout le monde ; ce qui compte est quand-même le sentiment, n’est-ce pas, d’avoir épuisé toutes les possibilités en tant que brave citoyen critique. Quelle idylle gentille et démocratique ! Entretemps, on continue de plus belle à démolir, à creuser, à tasser des pierres là où il faut, selon le grand masterplan. Et équipés d’un casque d’écoute et des cachets pour les nerfs, nous nous sommes, malgré tout le stress du boulot, doucement habitués à ce bruit épouvantable, à la poussière dans le nez, aux rues dépavées, à la disparition de lieus ou endroits verts aimés et jusque là intouchés par leurs sales doigts. Même la multiplication incommensurable des yeux de surveillance et des uniformes, qui de manière miraculeuse vont enrichir notre nouveau paradis, n’est même plus remarquée par le briller et le flamboyer du luxe en verre. Car, si on arrive quand-même à se hasarder à regarder tout cela un peu plus attentivement, on pourrait croire que le progrès tant loué n’est en effet rien d’autre qu’une cage dorée avec des barreaux transparents. Fini les bisous furtifs quelque part dans une ruelle ténébreuse. Fini de se retrouver et boire quelque breuvage dans la rue. Fini de s’allonger dans l’herbe sauvage. Pour tout ça, ils aménageront des endroits séparés et sécurisés, pour notre propre bien. Que tout puisse se passer au mieux dans les rangs contrôlés. Le shopping pour les shoppeurs, l’école pour les petits, le lieu de travail pour les grands, le camp pour les étrangers et la prison pour les méchants, les indésirables et les briseurs de l’harmonie. Voilà, avouez que ce n’est pas tellement difficile. La seule question qui nous reste alors est de savoir où, dans toute cette manie de tout mettre en ordre, nous avons laissé nos vies.