Un samedi matin dans un quartier vivant près de la gare du Midi. Deux filles se promènent main dans la main. Rien d' extraordinaire, ça fait même partie de l'aspect de la rue. Ce jour là pourtant, elle se font violemment agresser ; essuyant des coups, elles en sortent le nez cassé, le visage en sang, des bleus à plusieurs endroits. L'agresseur ne dira rien, ne prendra pas les sacs laissés sur le trottoir, et s'en ira tranquillement, comme il était venu. C'est son quartier, il fait ce qu'il veut, et alors que la place est noire de monde, personne ne réagit.
Plusieurs versions circulent. S'agirait-il d'une personne qui n'a pas voulu accepter que les filles se promènent main dans la main, qu'elles s'aiment peut être, et qu'elles ne veulent pas cacher leur amour ? S'agirait-il d'une personne qui n'a pas trop de problèmes avec cela, mais qui a par contre voulu les draguer et qui n'a pas accepté un refus ? On en saura rien, nous ne sommes pas des enquêteurs, ni des juges. Finalement on pourrait dire que des connards, il y en aura toujours. Qu'il ne s'agit pas d'appeler à plus de flics dans la rue, de même pas faire appel à eux du tout, mais de prendre en main l'autodéfense face aux attaques à son intégrité – sachant que ça ne résout pas la question à la base. Le problème pour moi n'est pas seulement ce connard, mais plutôt l'absence de réactions de toutes les autres personnes autour. Comme si ça peut aussi faire partie des rapports humains sans trop de soucis.
Ceux qui ont profité de l'incident pour crier à la répression et à la stigmatisation d'une partie de la population ne trouveront pas notre complicité. Par contre, il me semble important d'en parler, de personne à personne.
Ça se déroulera fin août, au quartier Stalingrad. Ce quartier a une importance symbolique pour moi. Pendant toute l'été, on y a tenu des assemblées ouvertes dans la rue, autour de la question des sans papiers, des centres fermés. Beaucoup de formes d'oppression ont passé la revue et pendant plusieurs mois, le rendez-vous y était fixé pour se trouver le soir pour parler des manières collectives et individuelles à résister, à lutter. Il s'y est passé quelque chose de magique, on s'y trouvait entre personnes avec papiers, personnes sans papiers, hommes, femmes, européens, africains. C'était un beau mélange qui donnait de l'air à la question « comment affronter les oppressions qu'on ne veut plus subir » ? On a parlé de révolte, de rage, de liberté, de bonheur dans les petites choses. Évidemment, tout n'est jamais super et parfait comme on le voudrait tous et toutes, mais c'était un bon début déjà. Une expérience qui montre qu'on est capable de dépasser certains a prioris et idées figées dans les moments où l'on partage des expériences de lutte.
Au même endroit, seulement quelques semaines après la fin des rencontres, une chose pareille s'y passe.
Pendant un certain temps, un air de liberté respirait à Stalingrad. Un souffle qui est très fragile, il peut s'envoler immédiatement. La liberté s'envole quand une femme ne peut pas refuser les avances d'un homme sans se faire taper dessus. Quand une femme est juste bonne à suivre les règles de leurs maris ou grand frères. Quand un couple hors des normes hétérosexuelles écope le droit de recevoir des coups. Comme si l'amour était une question de règles figés, de diktats à suivre, de pulsions à réprimer, au nom de quoi ? De la communauté qui te suit de l’œil, des hommes religieux qui se prétendent maître de tous et de toutes ? De l'incertitude même de suivre ses désirs et d'oser se confronter à ceux qui veulent nous museler, nous faire rentrer dans leurs cases.