Brûle, palais, brûle!
Le 3 janvier, après la dernière séance du jour, deux foyers d’incendie sont allumés à l’intérieur du Palais de Justice de Bruxelles. Les archives de la greffe de la Cour d’Appel sont réduites à néant par le feu ; des centaines de dossiers judiciaires ont été détruits. Un énorme dégagement de fumée laissait entrevoir le rêve qui caressent tant d’enragés : voir partir ce palais de justice en fumée, définitivement cette fois-ci.
Mais récapitulons en un geste aussi rapide que l’allumage d’un feu libérateur, quelques raisons pour brûler ce Palais de Justice, et, par extension, tous les tribunaux du monde. Hâtons-nous à le faire, avant que les fausses critiques de ce monde pourri se redressent à nouveau pour nous rabâcher les oreilles à coups de « réformes de justice », « peines justes », « juges honnêtes », « procureurs impartiaux » et d’autres conneries du genre. Dépêchons-nous, avant que le cadavre de l’Ordre et de l’Autorité recouvre de cette blessure modeste, mais palpable.
Brûle, palais, brûle
Parce que la liberté n’a rien à voir avec des lois, des règlements, des autorités. Elle est exactement son contraire. La Justice, elle est le défenseur des lois en vigueur, elle est l’adorateur de règlements et d’interdictions, elle est une incarnation du principe de l’Autorité, prenant corps dans les juges, les tribunaux, les procureurs.
Parce que devant la torture qu’est l’enfermement, devant la mise à l’écart d’un individu de son milieu, de ses proches et des ses rapports, la moindre des choses est d’aller débusquer sans hésitations ceux qui ont sont responsables, comme la Justice. Celui qui enferme, aura toujours un cadavre dans la bouche. Ainsi, tous les jugements sont pourris, tous les juges puent la mort. La prison est à la hauteur de ce monde : affreuse, tortionnaire, oppressive, étouffante.
Parce qu’il n’y a que les morts-vivants qui peuvent être innocents dans ce monde, et encore. Un monde divisé en riches et pauvres, entre maîtres et esclaves, entre chefs et soldats : qui, épris d’un désir de liberté, peut se prétendre innocent aux yeux d’un juge ? Car le juge, c’est celui qui défend l’ordre de ce monde, et agir contre l’ordre de ce monde, veut dire être coupable à toutes les transgressions possibles. Par là, nous n’entendons pas que chaque condamné soit un combattant pour la liberté, ou que tout « crime » rend libre, mais simplement que le combat pour la liberté passerait forcément sur le cadavre de la Justice.
Parce que, en constatant que la plupart des condamnés ne sont ni des riches, ni des puissants, mais bien ceux et celles d’en bas de l’échelle sociale, on ne saurait dire autre chose que, dans un monde où l’argent est roi, porter atteinte à la propriété privée est tout simplement une exigence vitale. Vu ainsi, la Justice n’est rien d’autre qu’un autre obstacle sur la voie, tout comme la serrure, le coffre-fort, le vigile, le policier ou l’alarme. Et les obstacles, il faut les éliminer et détruire.
Parce que les juges prétendent juger la violence contre les personnes, tandis que le système entier assassine, bombarde, fait la guerre, torture, à ceci à une échelle que même les individus munis d’une kalachnikov ne sauraient massacrer autant de gens que lui. Que la Justice punit les trafiquants de drogue, qui se font effectivement du fric sur le désespoir des misérables, mais ce sont des secteurs économiques entiers, « légaux » ceux-ci, qui intoxiquent les hommes et anéantissent leur capacité de réfléchir et de sentir par les antidépresseurs, par la fascination qu’ils inspirent de la marchandise, technologique ou autre, par la dépendance qu’ils créent de la télévision et de l’internet. Que les juges s’en prennent aux trafiquants d’êtres humains, tandis que partout dans le monde, des déportations de masse, des camps d’internements, de centres fermés, transforment les êtres humains en chiffres à déplacer, à transporter, à refouler. Et ce n’est pas qu’elle est hypocrite, la Justice, qu’elle est injuste, qu’elle ne cible pas bien… elle n’a simplement rien à voir avec ce que certains appelleront peut-être « justice ».
Parce que la Justice ne résout aucun conflit, elle ne fait que punir. Au final, tant que des tiers (et en effet, peu importe s’ils s’ornent de « Justice », « loi », « communauté », « peuple », « humanité ») s’imposeront en tant que juges, les individus ne sauront régler leurs conflits de manière satisfaisante. Pour que cela soit possible, ils doivent le faire eux-mêmes, en face-à-face, sans codes ni tribunaux à suivre ou à respecter. La liberté des hommes, compris comme négation de toute autorité, ne ferait pas disparaître les conflits, mais éliminera certes les fausses « solutions » autoritaires, en plaçant chaque individu carrément devant soi-même et devant l’autre. Qui sait que, devant la liberté, il n’y aurait peut-être ni justice, ni injustice, mais tout simplement les individus et leurs rapports réciproques.