Ils nous tuent (et une lettre de quelques prisonniers de Forest)

Cinq morts tombés sous les balles des flics, les matraques des matons, les calmants administrés par des docteurs complices en à peine quelques mois. Cinq personnes qui, d’une manière ou d’une autre, n’ont pas simplement baissé la tête quand on s’apprêtait à leur infliger de la prison.

Cinq per­sonnes qui ont dû payer cette résistance avec leur mort. Tandis que la mutinerie à la prison d’Andenne, le commis­sariat brûlée à Anderlecht et la rafale de mitraillette contre la porte de la prison de Forest ont rappelé, par la révolte, les tortures des prisonniers et la torture de l’enfermement même, ils font le tout pour camoufler ces cinq morts, comme si rien n’en était.

Mais, ce n’est pas de l’indignation suite à tant de violence de la part de l’Etat ou parce que les « droits démocratiques » auraient été bafoués que nous recherchons ici. Ce n’est pas de l’indignation à propos de la manifestation honteuse des matons qui a parcouru la ville aujourd’hui, exigeant davantage de barreaux et de marge pour tortures les détenus, que nous recherchons. Ce n’est pas de l’indignation à propos des conditions de vie et de survie qui se durcissent pour tout le monde et exigent déjà des cadavres, que nous voulons. Car, aussi cruel que se soit, c’est « le cours normale » des choses dans cette so­ciété. Un cours normale qui continue à être accepté par trop de pauvres, trop d’opprimés.

Lasses d’être indignés à propos de tant d’injustice et de sang, il est temps que la riposte prend une tournure différente, une tournure autre que des larmes pour les droits bafoués ou des lamentations que c’est toujours nous, les pauvres, qui payent l’addition pour préserver les profits et le pouvoir des riches. Que la riposte s’alimente alors de la rage qui gronde dans nos ventres, qu’elle devienne révolte contre tout ce qui nous encage ou opprime. Qu’elle oppose à leur monde mortifère notre dignité qui ne tolère plus la résigna­tion. Que nos rêves d’une autre vie, de liberté boutent le feu à leurs palais.



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Lettre reçue de quelques prisonniers de Forest


« En effet quelque chose ne colle pas. Varga était un battant, c’est lui qui, lors de son passage aux Assises de Mons, est arrivé avec une combinaison orange comme à Guantanamo, avec écrit en gros dans le dos ‘Guantanamons’.
La presse a dit qu’il a fait une tentative de suicide 4 jours avant sa tentative d’éva­sion. Ensuite il a fait une prise d’otage avec un simple couteau, ça rate. Les ma­tons annoncent de se mettre en grève à cause de cette tentative. A 6h du matin, la grève démarre et à 7h15, la radio et la TV annoncent le suicide de Varga dans le cachot.
Tout ça ne tient pas la route. Voici que nous, des prisonniers à Forest, pensons :
- Varga a fait une fausse tentative de sui­cide, pensant pouvoir s’arracher de l’hô­pital. Trop bien gardé, il a vu que c’était impossible, alors, il a tenté le coup le dimanche.
C’est là que ça ne va plus. Il se serait pendu au cachot ? Les cachots d’Anden­ne sont les mêmes que ceux d’Ittre. Il est impossible de s’y pendre !
Voilà donc ce que nous pensons : quand Varga a été repris, il a été tabassé à mort et pour cacher cette mort, les matons se mettent en grève ; c’est le cas de Lan­tin que l’on avait dénoncé ou celui du jeune Nigérien qui s’était aussi préten­dument pendu alors qu’il est mort sous les coups. »
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