La prison a encore exigé une vie humaine

Enfermer un homme des mois et des années dans une cellule de quelques mètres carrés. Le contrôler, l’humilier, le briser. La prison est un engrenage qui se nourrit de vies d’hommes. Elle leur suce toute leur force de vivre, les anéantit physiquement ou, une fois mentalement brisés, elle les revomit dans une société qui nécessite ses prisons pour garder les pauvres dans les rangs, pour faire valoir la Loi.

Le 17 janvier 2010, Alexandre Varga a été retrouvé mort dans une cellule d’isolement à la prison d’Andenne. La veille, il avait es­sayé de s’évader. A l’aide d’un couteau, il a pris en otage un maton et a obligé les autres matons à ouvrir toutes les portes de la prison. Une fois dehors, il a relâché le maton, s’est mis à courir mais a été rattrapé par une horde de matons. Ensuite, ils l’ont mis au cachot. Il ne faut pas être une lumière pour comprendre que, par rancune, les matons se sont vengés sur Alexandre. Quelques heures plus tard, Alexandre était mort.

Tout de suite, les matons ont entamé une grève. Ainsi, ils évitent non seulement qu’on examine les conditions exactes de ce « suici­de », mais en plus ils utilisent le cadavre en­core chaud d’Alexandre pour soutenir leurs revendications misérables: plus de sécurité, plus de barreaux, plus de marge et de caution officielle pour faire des prisonniers ce qu’ils veulent. Entre-temps, les mercenaires de la Police Fédérale ont repris le contrôle de la prison… et, il n’y a pas si longtemps, à la prison de Forest, il est devenu clair pour tous que la présence de la police à l’intérieur des murs signifie une augmentation des mauvais traitements et de la torture. Une grève des matons n’est pas autre chose qu’une punition supplémentaire, mais officieuse, de tous les prisonniers. Et, surtout, comme c’est le cas maintenant à Andenne, une mesure sécuri­taire préventive contre de possibles réactions enragées ou des mutineries.

Quand un prisonnier rassemble son courage pour tenter la fuite vers la liberté, il met en jeu tout ce qui reste encore de son existence. Une évasion n’est pas un acte de désespoir, mais au contraire un saut courageux dans l’incon­nu, une exigence de vivre sans compromis. Que quelqu’un, quelques heures après un tel saut, se prive de la vie dans une cellule où il n’y a rien, mais vraiment rien, pour attacher une corde, est plus que dou­teux. Mais même dans le cas où Alexandre aurait lui-même enroulé les vêtements autour de son cou, c’est encore la pri­son qui a pris sa vie. C’est la désolation d’une existence ré­duite à quelques mètres carrés, d’une vue toujours encadrée par des barreaux, d’une violen­ce ininterrompue contre tout ce qui fait de l’homme un homme, de coups de matraques soudains et des humiliations, d’une cellule d’isolement nue où ne rentre pas le moindre rayon de soleil. Et c’est pour ça que chaque mort en prison est un meurtre de l’Etat. Une vengeance sanguinaire de la Loi contre ceux qui l’ont défiée.

Et Alexandre n’a pas seulement défié la Loi en plongeant ses mains dans les coffres des banques. Il a aussi, de différentes manières, défié les règles qui perpétuent cette société d’exploitation et d’autorité. Ainsi, lors d’une braquage dans un supermarché en 1989, il a laissé une partie de l’argent sur place avec une note : « Pour le personnel ». Ainsi, au cours des années, il a aidé d’autres prison­niers à se faire la belle. Ainsi, en 2008, il a dénoncé devant le tribunal les mauvais trai­tements et les tortures de détenus internés par des matons et les conditions d’enfermement à la prison de Mons. Il portait à ce moment la fameuse chemise orange où on lisait « Guan­tanamons ». Ainsi, il a diffusé des textes et des tracts à propos de la lutte dans et contre la prison. Ainsi il a choisi, toujours et par principe, son camp contre les représentants de l’Ordre et de l’Appareil Judiciaire – une attitude de « la vieille école » que quelques hors-la-loi continuent à maintenir.

Nous n’oublierons pas les morts dans les pri­sons. Nous ne laisserons pas des grèves de matons les camoufler ou des « enquêtes in­dépendantes » les enterrer ; enquêtes qui ne font que chercher des preuves pour la Raison de la prison. Ces morts, ils continuent à vivre dans les révoltes de tous ceux qui portent la liberté au coeur et qui mettent leur vie en jeu pour en finir avec la honte de cette société et de ses matons, avec la docilité de ses sujets qui cautionnent sa survie.