Gardiens de prison désignés comme tortionnaires
“Ce n'est pas ici un procès contre le monde carcéral belge”. Les avocats qui ont défendu ce mercredi 16 octobre trois matons tortionnaires et une directrice adjointe de l'époque étaient tous les plus convaincus défenseurs des droits des détenus et franchement indignés de la violence exercée contre ceux-ci. Sauf bien sûr s'il s'agit de faits réels, comme c'était le cas le 6 décembre 2007 contre Farid Bamouhammad, sauf s'il s'agit bien sûr de se questionner sur le comportement des tortionnaires qui siégeaient justement devant eux sur le banc des accusés, s'il s'agit de chercher à comprendre pourquoi l'un d'eux – le mal famé chef surveillant Daniel Delbard – était l'un des “apôtres” du Jésus Fonck, directeur de l'époque de la prison de Ittre. L'hypocrisie n'a pas eu de limites ce jour-là.
“Vous avez la réalité en face de vous, n'avez-vous pas honte ?” a répondu Farid aux avocats de ses bourreaux.
Pendant des années, la prison de Ittre a été
dirigée par un sauvage Fonck et une dizaine de matons qui
tabassaient les détenus avec la même régularité qu'ils buvaient
leur tasse de café le matin. Il s'agissait là d'une violence
systématique et organisée, couverte par l'administration
pénitentiaire.
Début décembre 2007, les matons d'Andenne se
mettent une fois de plus en grève pour exiger le départ de Farid.
Il est alors envoyé à la prison de Ittre, où les matons ne sont
pas non plus contents, ils avaient déjà leur lot de détenus
récalcitrants à gérer et l'ambiance était à l'émeute. Comme
cela s'est passé plusieurs fois à cette époque, le directeur et
ses apôtres ont voulu se faire plaisir. Farid est attendu par un
comité d'accueil de matons qui le rouent de coups et le mettent au
sol au moindre mot venant de sa bouche. Ils le traînent au cachot où
il sera attaché jour et nuit, les pieds et les mains liés, pendant
plusieurs jours, dans le froid. On est en plein hiver.
Cela a un nom, ça s'appelle la torture. Cela sait se
couvrir aussi. L'usage d'un instrument de torture est nié, aucune
trace n'est laissée. Le médecin complice des violences commises
viendra seulement 6 jours après pour constater les séquelles des
entraves (chevilles ensanglantés entre autres), et notera ensuite
que les autres traces seraient dues à de “l'automutilation”.
Farid a porté plainte pour traitement inhumain et
coups et blessures. Les matons répondent tout de suite en
l'attaquant de leur côté pour menaces et insultes.
Les matons présents le jour du procès ont
tant bien que mal essayé de se justifier, de pratiquer l'oubli
sélectif, de jeter la faute sur les flics et surtout sur Farid
lui-même bien sûr. On lui reproche entre autres de ne pas avoir
lui-même demandé à enlever les entraves. Sa présence même était
déjà une menace et justifiait à leur avis cette violence. Comme
une véritable mafia, les uns couvraient les autres en ajustant leurs
discours. Deux délégués syndicaux de la prison de Ittre étaient
présents pour soutenir leurs bourreaux et défendre les intérêts
de toute la matonnerie. Un témoin – lui-même ex-directeur de
Ittre et de Lantin – est venu confirmer que certains matons
voulaient éliminer
Farid et que lui-même a été muselé par le directeur Fonck. Il
disait aussi que ce sont souvent les chefs de quartier qui décident
eux-mêmes des « moyens de coercition » utilisés à
l'encontre des détenus.
Aujourd'hui, certains matons violents ont été
mutés. Delbard a rejoint la prison de Marneffe, d'où il continue à
inciter d'autres matons à cogner, à faire grève, au delà des murs
d'une seule prison. Les trois frères Baldan se sont éparpillés,
l'un est maton à Lantin où il a notamment géré les matons du bloc
U (isolement), l'autre fait la sécurité d'une boîte de nuit et le
troisième travaille pour la douane. Le directeur Fonck a eu sa
dose ; il aurait subi une tentative de meurtre sur l'autoroute,
un cambriolage particulièrement violent chez lui pour finalement
être frappé par une crise cardiaque. Après avoir été un légume
dans le coma, il ne se souvient plus de rien aujourd'hui, pas même
d'avoir un jour été directeur de prison.
Quelques pions ont été changés depuis, mais la
violence commise contre les détenus, et particulièrement ceux qui
ne se laissent pas facilement soumettre, est toujours monnaie
courante dans les prisons belges. À plusieurs reprises pendant le
procès, Farid a dénoncé cette violence commise contre les détenus
à Ittre et dans d'autres prisons.
Rendu le 29 novembre au tribunal de Nivelles. Mais
nous ne sommes pas dupes. Ce n'était effectivement pas un procès
contre le monde carcéral belge, une chose pareille n'est pas
imaginable. Les bourreaux, leurs chefs et leurs complices n'iront pas
se poursuivre devant leur propre justice. Nous savons que même
assassiner un détenu de sang froid, comme Michael Tekin qui a été
roué de coups et étranglé par une dizaine de matons à Jamioulx,
n'est pas considéré pour eux comme un fait punissable, alors nous
ne nous faisons pas trop d'illusions sur les suites de ce procès qui
a à son origine un homme qui ne se laisse pas facilement enfermer et
soumettre. Ce n'est pas dans la salle d'une cour que nous devons
attendre que justice soit faite. Ce qui était beau par contre,
c'était de voir l'effarement et le malaise sur les sales gueules de
ces matons.
Récit d'une émeute en octobre 2006, témoignage
recueilli en 2011 et publié dans le livre 'Brique par brique'.
« […] Ça
s'est passé sur la section réA, où tous les punis sont enfermés
et surveillés. Une équipe de bâtards de matons. L'équipe de
Fonck, un directeur qui disait aux détenus : « Moi je
suis Jésus, les gardiens sont mes apôtres ». Fonck se
promenait dans la taule avec un Magnum 357.L'équipe de Fonck, des gardiens qui étaient protégés par Fonck. Delbard – on dirait Claude François -, Luigi et Adelio Baldan, l'adjudant Theemans. »
Comme c'est souvent le cas, les matons partent
directement en grève pour brouiller les pistes d'une enquête sur le
pourquoi de ces faits. Toute l'attention part alors aux réclamations
des gardiens. Dans quatre autres prisons en Wallonie, les matons
suivent la grève.
La mafia fait son travail : pour cette évasion,
le détenu écopera 8 ans de prison et ses trois complices de 6, 5
ans et 30 mois. »