La décision avait déjà été prise il y a quelques temps, mais à partir de juin elles vont vraiment débarquer sur la zone de police Nord de Bruxelles. 130 caméras « intelligentes », c’est-à-dire capables de reconnaître et de signaler automatiquement des « comportements suspects », vision à 360 degrés et équipées de microphones pour enregistrer les conversations.
Au nom de la sécurité, les quartiers de Schaerbeek et de Saint-Josse ressemblerons d’avantage à des prisons à ciel ouvert. En plus du nombre fleurissant d’uniformes en tout genre, des systèmes de protection intégrés des commerces et des banques et de l’invasion militariste par la STIB, ses contrôleurs et ses caméras, voilà donc une police qui se prétend pouvoir et devoir regarder partout en permanence. Le drone (petit hélicoptère téléguidé) qu’ils ont achetés il y a un an, n’est alors que la petite cerise sur le gâteau déjà bien pourri.
Petit à petit, l’Etat cherche à endiguer et transformer tous les possibles foyers de conflictualité en zones surveillées et fliquées. Cette conflictualité s’exprime certes de manière diverse et pas toujours agréable. Casser les vitres d’une banque pour attaquer le système capitaliste n’est pas pareil qu’agresser la vieille dame du coin qui vient de retirer sa retraite de cette banque. L’illusion que cherche à répandre la police et l’Etat, c’est qu’ils renforcent le contrôle pour notre bien-être et notre sécurité… mais c’est bien leur bien-être et leur sécurité qu’ils veulent protéger.
Les caméras qu’ils vont placer en disent long sur le monde dans lequel on vit, un monde qui ressemble, comme on disait, toujours plus à une prison à ciel ouvert. La prison sociale, ce n’est pas seulement le contrôle, les caméras, les uniformes et tous les gadgets technologiques comme les portables et les cartes à puces qui permettent une surveillance accrue sur les individus ; c’est aussi l’impossibilité de sortir de ce qui est. Impossibilité de sortir de la pauvreté et la débrouille, d’échapper à des vies toujours plus vidées de sens et de joie, de rompre avec la cadence annihilante du travail et de la consommation. Et pire encore, les murs invisibles de cette prison qui nous enferme tous, entravent toute vue sur l’horizon des possibles, d’autres mondes, d’autres vies que celles qui nous sont imposées aujourd’hui.
Pourquoi se plaindre, ou plutôt, pourquoi lutter contre et saboter ces caméras dès leur installation ? Les discours d’autant de démocrates, droits-de-l’hommistes et compagnie tournent toujours autour des mêmes arguments : « droit au privacy », investissements massifs dans le sécuritaire plutôt que dans le social, contrôle et fichage « indiscriminés » de la population entière… Au final, ce sont des discours qui préfèrent voir une cage dorée plutôt qu’une cage grise, un pouvoir « consciencieux » plutôt que « méchant »… Et nous, nous ne voulons ni de cages démocratiques, ni de cages dictatoriales, ni grises ni dorées. Si on s’oppose aux caméras, c’est pour bien d’autres raisons.
Si nous cherchons à saboter le contrôle et la vidéosurveillance, ce n’est pas pour cacher nos mauvaises intentions de nuire à l’ordre social. Si nous chercherons à crever les yeux de l’Etat, ce n’est pas pour protéger un quelconque droit, mais pour défendre nos révoltes dans la rue face à l’Etat qui cherche à les réprimer. Si nous couperons les câbles d’alimentation de ces caméras, ce n’est pas parce que nous voulons faire semblant d’être tous des innocents et des victimes, mais parce que la culpabilité est d’une certaine manière notre fer de lance. Coupables de se révolter, coupables de voler ceux qui ont beaucoup de pognon plutôt que de travailler pour enrichir un patron, coupables d’attaquer tout ce qui représente l’autorité, coupables de chercher à prendre nos vies en main.
Hors contrôle, hors surveillance, hors-la-loi, apprenons à savourer la liberté dans le combat contre tout ce qui nous opprime.