Une lettre depuis la prison de St-Gilles

Des gens qui se font tabasser et humilier, c’est notre réalité quotidienne ici dans la section de haute sécurité de la prison de Saint-Gilles, l’aile B remplie de cachots. L’aile a été rouverte après sa rénovation il y a 3, 4 mois. Nous avons tous un régime individuel et ils nous ont ramené les pires chefs, les plus provocants.

Il y a quelques jours, ils ont emmené Ali El Ouakadi dans la section médicale, complètement tabassé par la police de Malines qui avait débarquée dans la prison suite à une occupation de préau. Un peu plus tard Lahoucine El Haddouchi est arrivé à l’aile B et a été mis KO par la police. Son frère Hassan a également ramassé des coups.

Lahoucine est avec nous ici sur l’aile, mais les chefs font tout pour empêcher que l’on s’entre-aide. Si quelqu’un a besoin de quelque chose, de quoi manger ou autres choses, ils interdisent que l’on s’aide les uns les autres. La bouffe est immangeable, ils font des drames pour des petites choses comme sortir à boire au préau. Nous sommes fouillés en permanence, on dirait un camp militaire ici comme à Merksplas. On doit porter des pantalons gris, on dirait du carton. Les fenêtres sont très petites, on peine à regarder dehors. Si on réplique la moindre des choses, on nous colle un rapport disciplinaire et le cachot. C’est inhumain ici. Ils essaient de nous détruire psychologiquement.

Ils veulent nous rendre fou dans cette aile. Le chef de quartier de l’aile A, Effix, se rend régulièrement ici pour foutre la merde. Il est connu pour tabasser des jeunes, des sans papiers. Il y a un mois et demi, j’ai eu une altercation avec lui. Je lui ai dit: “Essaie une fois de faire avec moi ce que tu leur fais à eux.” Il a pris peur et a poussé le bouton d’alarme. L’équipe d’intervention des matons est venue, ils m’ont menotté et mis au cachot. Une autre chef fait monter la tension, elle veut qu’on pète tous les plombs. Aujourd’hui (26 novembre), quelqu’un s’est ouvert le bras avec un rasoir. Il était sorti en training au dessus de son pantalon gris de la prison (il fait froid dehors!) et pour cela, elle lui a collé 15 jours de cachot. Certains chefs de quartier sont de vrais fils de chien.

Mais il y en a certains qui veulent renverser le bazar.

Quand Ali et Lahoucine sont arrivés ici, tout amochés, j’ai pété un câble et j’ai cherché la bagarre avec un adjudant. J’ai aussi détruit ce que je pouvais dans le cachot, ce qui n’est pas beaucoup. J’ai eu un rapport disciplinaire, je passe demain. On a aussi refusé de revenir du préau, mais le mauvais temps et la baisse de moral n’aident pas l’affaire. Ici il y a beaucoup de jeunes qui pensent qu’ils ne peuvent rien faire. Ils nous font des chantages en permanence en nous enlevant la visite, la seule chose qu’on a ici. La salle de visite est tellement petite qu’ il faut être là très tôt pour être sur la liste, et tout le monde ne peut pas avoir la visite. La tension monte et monte, on est 22h sur 24h en cellule, les chefs nous rendent fous et au lieu de diriger notre rage vers eux, les détenus se battent entre eux. Il y a de plus en plus de bagarres au préau.

Samedi matin (le 22 novembre), quelqu’un a réussi à s’évader. Son frère a échangé de place avec lui après la visite. Son frère a passé tout le samedi et la nuit de samedi en prison, ils s’en sont rendu compte que le dimanche matin [il demeure en prison, il a été inculpé avec l’accusation d’avoir facilité l’évasion, son frère court toujours, heureusement]. Ils ont été totalement ridiculisés. Et maintenant, ils le font payer à tout le monde. Chez le compagnon de cellule de l’évadé, une équipe d’intervention a débarqué et l’ont place 9 jours en cachot. Parce que l’autre s’est évadé? Ce sont des pures représailles.

Les médias veulent dénigrer le gars en disant vite fait qu’il est aussi inculpé pour viol, alors que tout le monde sait qu’il s’agit en réalité d’une relation échouée. Dire que c’est un violeur est un pur mensonge. Il y a un mois, son frère est décédé, et ils ne l’ont rien laissé faire. Il n’a même pas pu le voir. Rien.

Dans 8 mois, je sors. Posez-vous la question, comment un homme sort-il après tant d’années passées dans de telles conditions? Avec tout ce que j’ai vu et vécu ici, je ne sortirai qu’avec encore plus de rage.

Depuis la section de haute sécurité
Hakim El Ghazouani